
C’est lors d’un jour brumeux et froid, le 21 janvier 1815, soit 22 ans après la mise à mort de Louis XVI, que la dépouille du souverain, accompagnée par celle de sa femme Marie Antoinette, est emmenée à la nécropole royale de Saint Denis. Montés sur des chars chargés d’emblèmes royaux, les restes des corps déambulent ainsi, avec leur cortège, du cimetière de la Madeleine jusqu’à la basilique où est dite une messe expiatoire par l’évêque de Troyes, en ce jour de deuil national. 1815 : une date d’importance pour les royalistes de l’époque puisqu’elle marque le moment où Napoléon est défait et où Louis XVIII (qui règne de 1814/1815 jusqu’à 1824), le frère de Louis XVI, monte à son tour sur le trône. Aussi, les tensions sont palpables au sein de la population qui est déchirée entre les fidèles au roi et les révolutionnaires. Ce à quoi répond Louis XVIII par une amnistie générale et un appel à l’apaisement, conformément à ce que souhaitait Louis XVI dans son testament. Néanmoins, le frère royal ne cherche pas à occulter la mémoire du régicide pour autant et prévoit, sur l’emplacement où les corps de Louis XVI et de sa femme ont été retrouvés, d’édifier une chapelle : la chapelle expiatoire. Ce monument a été édifié entre 1816 et 1826 (donc sous Louis XVIII et Charles X) avec, néanmoins, une première messe expiatoire offerte en l’honneur du roi défunt le 21 janvier 1824, alors que le plus gros de l’œuvre a été réalisé. Aussi, c’est à la découverte de ce monument atypique et trop méconnu que cet article vous invite pour, qui sait, le visiter un jour et briller devant ceux qui vous accompagnent !
I- Conception d’un Cénotaphe en l’honneur de Louis XVI et de son épouse
A- Deux acteurs principaux : Louis XVIII et l’architecte Fontaine dans un processus de réconciliation

Tout d’abord, le principal acteur dans la réalisation de la chapelle est Louis XVIII, frère de Louis XVI et plus proche prétendant au trône car les deux garçons du couple royal, victimes de la Révolution, sont alors morts à cette date. Aussi, c’est lui qui finance sur ses propres deniers l’édification de ce cénotaphe (c’est-à-dire de ce monument funéraire vide élevé dans un souci de mémoire), faisant de cette chapelle une affaire plus familiale que nationale. L’œuvre architecturale de ce roi ne s’arrête d’ailleurs pas à cet édifice puisqu’il en réalise un autre de ce type à la conciergerie, en l’honneur de Marie Antoinette, ainsi qu’une chapelle dite « St Louis du temple », à la mémoire du dauphin Louis Charles de France (Louis XVII), décédé en 1795.
Pour revenir à notre chapelle, l’architecte choisi par le roi n’est pas sans intérêt à étudier. Il s’agit de Pierre François Fontaine (1762 – 1853) qui, sous l’empire, est l’un des favoris de Napoléon avec son ami et collaborateur Charles Percier. Si le roi avait proposé aux deux architectes d’œuvrer à la réalisation du monument, Percier décline l’offre sans doute pour des raisons politiques. Par ce choix, le roi tente de se positionner dans la continuité de l’Etat en plus de mettre en avant sa politique de réconciliation. Il espère et attend aussi que l’architecte lui soit docile dans son projet… ce qui n’est pas toujours le cas. Fontaine, auteur avec Percier d’œuvres de types néo – classiques inspirées de l’Antiquité, tel l’arc de triomphe du carrousel (1809), a un style très paganisant, ce qui déplaît dans une certaine mesure au roi catholique qui lui aurait d’ailleurs dit : « je n’aime pas les idées de paganisme quand vous me montrez les dessins ». De fait, dans la composition finale, les signes religieux et royaux sont peu présents aux abords du monument et il faut attendre d’entrer dans le vestibule de celui – ci pour voir apparaître les premiers signes de piété. Il ne faut néanmoins pas imputer ce fait seulement à l’architecte et rappeler que le contexte dans lequel s’inscrit la construction de cette chapelle est tendu : la neutralité extérieure permet ainsi d’éviter d’attiser ces tensions et de déclencher un désir de destruction.
B- Composition du monument

La chapelle expiatoire est en fait un grand ensemble composé de nombreux espaces distincts dont l’agencement doit toucher le fidèle pour mieux l’amener à une ascension rituelle, à partir du vestibule jusqu’au maître autel de la chapelle. De fait, cette ascension est plus que rituelle puisque le bâtiment est effectivement surélevé, ce qui accentue son caractère imposant et permet de lui donner des allures de temple antique. Le pavillon d’entrée, dont l’accès se fait via l’actuel square Louis XVI qui entoure le bâtiment, est la première station du cheminement du visiteur. Auparavant, une allée de Cyprès marquait d’une manière plus solennelle encore cette avancée vers le perron, dont le fronton est marqué par une plaque qui honore la mémoire du couple souverain, ce qui se révèle être une des rares mentions qui permet d’identifier la nature du monument à partir de l’extérieur.
Une fois montée la volée de marches, on aboutit au vestibule où les monogrammes des souverains sont entremêlés et affichés. Ce vestibule donne lui – même accès à un jardin intérieur, dit « campo – santo », bordés de cénotaphes censés rappeler la mémoire des gardes suisses morts lors de la prise des Tuileries. C’est alors seulement que la chapelle se laisse approcher : une dernière dizaine de marches finissent d’élever le spectateur vers l’entrée, dont le regard se pose d’abord sur le dallage polychrome en marbre dont la forme fait écho à la coupole qui le surmonte. Cette pièce est d’ailleurs éclairée par quatre oculi, dont l’un se trouve au centre de la coupole, à l’aplomb de la croix centrale du dallage polychrome. De part et d’autre de cette première chapelle s’élève deux petits renfoncements dont celui de droite comporte la statue en marbre du roi Louis XVI et celui de gauche, celle de son épouse. Derrière chaque statue se trouve un escalier descendant à une chapelle basse, bien plus sombre tant par le peu d’ouvertures pour la lumière que par la pierre noire qui compose notamment l’autel qui marque l’emplacement où l’on a découvert le corps du roi. Cette chapelle basse pourrait sembler être sous terre, à l’image d’une crypte, si la rosace derrière l’autel n’offrait pas la lumière du jour. C’est que l’on est, à ce niveau, revenu au niveau de la rue par rapport à l’élévation continuelle opérée depuis l’entrée dans le sanctuaire. Aussi, il y a un système de réponse entre la chapelle haute et celle basse : les deux autels sont à l’aplomb mais l’un est blanc tandis que l’autre est noir, et la rosace du sol en marbre polychrome est reprise dans la rosace de verre qui s’avère être la seule source de lumière dans la sombre pièce. Petite anecdote croustillante, la chapelle basse a théoriquement la même superficie que celle du haut… mais les 4 chambres murées qui y sont aménagées, qui se trouvent d’ailleurs sous les statues des souverains, contiennent les restes des ossements de l’ancien cimetière (de quoi faire frémir ceux qui vous accompagnent lors de votre visite) ! Enfin, on accède à la sacristie et aux galeries latérales en contre – bas à partir de cette chapelle basse.

C- Une décoration symbolique
Penchons-nous maintenant sur quelques décorations symboliques du lieu pour mieux entrevoir son caractère solennel. A plusieurs reprises, et ce dès les abords du monument, on trouve un dessin qui interroge le spectateur : il s’agit d’un sablier ailé accompagné de pavots et de branches de cyprès. Ce dessin évoque ainsi la fuite du temps auquel s’ajoutent les notions de repos éternel et de deuil. En effet, pour ce qui est du pavot, il s’agit de la fleur de Morphée qui, dans la légende, en faisait respirer aux mortels avant qu’ils ne s’endorment. En ce qui concerne le Cyprès, il s’agit, dans la mythologie, de l’arbre de Saturne soit d’une divinité du temps qui est aussi connu pour dévorer ses enfants… on comprend qu’il s’agisse donc d’une allusion à la mort. Ainsi, le message qui se dégage tout au long du parcours parsemé de cet emblème est clair, le thème de la mort et de son souvenir y sont omniprésents.

Rentrons à présent dans la chapelle. Au-dessus de la porte, pour peu que l’on prenne le soin d’y faire attention, se trouve un moyen relief représentant la fameuse translation des dépouilles des souverains vers St Denis. Bien que le style se veuille antiquisant, on voit bien le brancard surmonté des attributs royaux, porté au sein d’un cortège qui se dirige vers un édifice représenté à droite et mentionné (il faut y faire très attention pour le remarquer) par les inscriptions « ECC St Donisi » soit « Ecclesia sancti Donisi ». Il est intéressant de noter qu’en arrière-plan est en fait représenté le fronton de la chapelle expiatoire qui est alors en projet en 1815, année de la translation des dépouilles.
Maintenant que nos yeux sont rivés vers le haut de la chapelle, nous pouvons observer les quatre pendentifs qui bordent la coupole. Les thèmes qui y sont développés sont les suivants : la Passion du Christ, qui est signifiée par la présence d’un agneau et dont l’inscription (« agnus Dei ») surmonte la couronne royale, main de justice, un sceptre, des fleurs de lys au naturel et une palme du martyr… afin d’établir un parallèle avec Louis XVI ; l’eucharistie avec le monogramme du Christ « IHS » comme présenté dans un ostensoir surmonté d’une croix (inscription « O salutaris ostia ») ; la Trinité avec la surélévation d’un triangle au cœur duquel se trouve la colombe du Saint Esprit (inscription « Hi tres unum sunt ») et enfin les tables de la loi (inscription « Si vis ad vitam ingredi serva mandata »).
Penchons-nous enfin sur les deux statues monumentales des souverains. L’apothéose de Louis XVI d’abord a été réalisée par Joseph Bosio dans un seul bloc de marbre blanc, y compris les ailes de l’ange. Le roi est ici représenté dans une posture peu commune puisqu’il n’est pas en majesté ou en gisant sinon dans l’épreuve selon les derniers mots que Louis XVI aurait entendue, qui étaient ceux de son confesseur : « Fils de Saint Louis, montez au Ciel ». Peut-être pourrions-nous aussi continuer le parallèle christique, établit dans le pendentif de l’agneau de Dieu, en supposant un lien entre la posture du souverain et celle de l’agonie des oliviers, où des anges viennent consoler le Christ… En bas de la statue est inscrit le testament du souverain, qui fut originellement rédigé à la Noël 1792 au cours du procès royal. Pour ce qui est de la statue de Marie Antoinettesoutenue par la religion, réalisé par Pierre Cortot : la souveraine est, elle aussi, montrée comme étant dans l’épreuve mais de manière différente que son mari. En effet, si l’apothéose amenait le spectateur à s’élever, la statue de la souveraine est marquée par un mouvement vers le bas : ses cheveux dénoués tombant sur ses mains, la couronne renversée, le lourd manteau d’hermine ou encore le regard hiératique de l’ange montrent ainsi la reine comme une Marie Madeleine, en mémoire du cimetière sur lequel est implanté la chapelle. Au pied de la statue est inscrite, cette fois, une lettre poignante de Marie Antoinette adressée à sa belle-sœur, Madame Elisabeth.
Vous l’aurez compris, cet édifice est tout dévoué à la mémoire des souverains victimes de la Révolution Française ce, à l’initiative du roi Louis XVIII qui réinstaure la monarchie en 1815. Néanmoins, comme nous l’avons pu l’apercevoir plus haut, ceci ne se fait pas sans tensions. Venons-en maintenant à l’étude du lieu et de son histoire propre.
II- La chapelle est l’histoire
A- Le cimetière de la Madeleine et la Révolution
Le cimetière de la Madeleine, sur lequel est implantée la chapelle, est particulièrement lié à l’histoire de la Révolution bien qu’il soit pourtant, au départ, créé en 1722 afin de palier à la saturation de ceux alentours devenus trop petits. En effet, cet enclos mortuaire devient un véritable charnier lors des tueries que connait la naissance de la République : les gardes Suisses lors de l’assaut des Tuileries (10 août 1792), les victimes des massacres de Septembre, le couple royal mais plus généralement des centaines de charrettes portant des corps guillotinés sur la place de la République lors des répressions de la Terreur (1792 – 1794). En tout, c’est environ un cinquième des corps ayant subits les exactions parisiennes qui se retrouvent entassés à cet endroit. Autant dire que la variété des personnes, même dans les opinions politiques, se côtoient dans la mort. Pour ne donner que quelques exemples, dans ce cimetière se trouve les restes du cousin de Louis XVI, le duc d’Orléans Philippe égalité, qui a voté la mise à mort du souverain ; ou encore ceux de Mme Roland connue pour sa participation dans les milieux girondins… C’est d’ailleurs une des pierres d’achoppement entre Fontaine et Louis XVIII puisque l’architecte souhaite mettre une plaque commémorative symbolisant le repos éternel de toute cette population hétéroclite partageant le cimetière, ce qui ne plaît pas outre mesure au roi qui finance lui – même l’édification du monument et ne souhaite pas faire honneur aux personnes révolutionnaires.
Aussi, une fois le cimetière plein, le lieu est déclaré bien national et vendu dès 1797 à un premier propriétaire qui le vend ensuite en 1802 à Pierre Louis Olivier Declozeaux. Ce dernier a assisté à l’inhumation de Louis XVI en 1793 et repère à cette occasion l’endroit où se trouve le corps du souverain. Il s’applique dès lors, avec son gendre M. Danjou, à nettoyer le lieu, l’entretenir et planter des saules et cyprès aux alentours de la dépouille royale. C’est en partie sur leurs indications, ainsi que sur celles de M. Joly qui avait assisté à l’inhumation, qu’est retrouvé le corps au moment de la translation. Pour ce qui est du souvenir de l’enterrement de la reine, on fait justement appel à ce fameux M. Joly, fossoyeur chargé de creuser la tombe de Marie Antoinette. De fait les corps sont retrouvés dans leurs lits de chaux originel, bien qu’en piteux état, et sont effectivement rapatriés dès 1815 à Saint Denis. Il en va sans dire que le terrain est ensuite vendu à Louis XVI qui promulgue, dès le 19 janvier 1815, la construction de la chapelle sur cet emplacement.
B- Une réception mitigée et une postérité en danger
Lors de sa construction, qui dure environ dix ans, la chapelle ne connaît pas de problème notable. Au contraire, puisque le site est construit sur les deniers de la cassette royale de Louis XVIII, les problèmes financiers qui touchent alors la France n’affectent pas l’avancement du projet. Fontaine dispose ainsi d’un financement régulier, qui s’élève au total à un peu moins de deux millions de francs, ce à quoi s’ajoute une relative confiance du souverain dans l’architecte qui se retrouve très libre de ses mouvements une fois les mises au point effectuées. Dans son Journal, Fontaine confie d’ailleurs que « Jamais dans aucun temps, dans aucune des nombreuses entreprises dont nous avons été chargées, nous n’avons été plus libre de faire, après le projet arrêté, ce qui nous a paru convenable » ; et d’ajouter « Tout a marché sans trouble, sans hésitation, sans changements ».

Les troubles commencent néanmoins dès les Trois Glorieuses (27 – 30 juillet 1830) qui marquent la fin du règne de la branche ainée des Bourbon au profit de la branche cadette provenant d’Orléans, avec l’instauration de Louis – Philippe au pouvoir en tant que roi de France. Les années de règnes de ce souverain ne sont pas marquées par une animosité particulière vis-à-vis du monument expiatoire mais d’un oubli significatif. Ainsi, dès 1833 la loi de 1816, qui instaurait les commémorations de la mort de Louis XVI et sa femme, est abrogée. Les manuels d’artistes ou de monuments s’évertuent également à ne pas mentionner la chapelle expiatoire, à l’image du Dictionnaire des artistes de Charles Gabet en 1831 qui, dans sa session « architecture » tait l’existence du monument.
Les dégradations sont plus effectives sous les troubles de la Commune (mars – mai 1871) où un arrêté du Comité de salut public prévoit notamment la destruction de la chapelle (article 1) et la vente de ses matériaux (article 2) puisque le bâtiment est considéré comme « une insulte permanente à la première Révolution, et une protestation perpétuelle de la réaction contre la justice du peuple ». Heureusement, cet arrêté n’est pas mis en œuvre.
Ce qui finit par sauver le site au cours du XXe siècle relève de deux aspects : tout d’abord, la discrétion du monument avec le peu d’insignes royaux ou catholiques à l’extérieur de celui – ci, permet d’éviter, comme le souhaitait Louis XVI, de trop attiser les tensions. En second lieu, l’inscription du bâtiment, en 1914, dans les monuments historiques lui octroie une protection contre les éventuelles destructions passionnées.
Et aujourd’hui ? Eh bien, la chapelle vous attend au 29 rue Pasquier à Paris, tout près de la Gare St Lazare ! Plus sérieusement, le monument se visite et sert plus particulièrement, une fois l’an, à un évènement spécial… une messe expiatoire qui a lieu le dimanche le plus proche du 21 janvier. Aussi, c’est un temps fort pour le monument qui renoue, l’espace de quelques instants, avec sa vocation première. Et si vous décidez d’y assister, en plus d’y entendre la lecture du magnifique testament du roi Louis XVI, vous pourrez peut-être y voir l’actuel héritier du trône, Louis XX, qui se fait un devoir d’assister à la cérémonie en l’honneur de ses ascendants. Alors tous à la chapelle, chers jeunes Héritiers (Surtout que la visite est gratuite pour les moins de 26 ans) et bonne visite !
Par Aurore Artignan pour Héritages
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