2 décembre 1804 : La journée du sacre heure par heure

« Ma marche était alors si simple, si grande que je n’avais rien à redouter. J’étais bon à voir. » Napoléon 

Sacre de l’empereur Napoléon et couronnement de l’impératrice Joséphine
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Hervé Lewandowski

Dans la nuit du 1erau 2 décembre 1804, une vague d’agitation envahit soudainement le Palais des Tuileries, devenue résidence officielle depuis 1802. Joséphine, prise de remords, vient d’avouer au Pape qu’elle n’est pas mariée religieusement à Napoléon. Scandalisé à l’idée de célébrer un sacre sans union catholique, le Pape Pie VII menace de ne pas se rendre à Notre-Dame. Napoléon, irrité, se soumet aux exigences du pontife. Hors de question d’annuler cette journée le faisant entrer dans l’histoire ! Un mariage religieux est organisé à la hâte ; on se dirige expressément vers la chapelle des Tuileries où l’archevêque Joseph Fesch unit les deux époux. Après cette nuit agitée, la journée du sacre peut enfin commencer.

2 décembre 1804. 6h. En ce premier dimanche du mois de décembre,un froid glacial règne sur la capitale. La neige, tombée la veille, a recouvert les pavés d’un fin manteau blanc ; et dans les rues de Paris encore endormies, les cloches sonnent à toute volée pour annoncer l’événement. L’heure suivante, les premiers invités, parés de bijoux, de velours et de dentelles, se pressent sur le parvis de Notre-Dame. En ce début de XIXème siècle, Notre-Dame n’est pas encore la cathédrale sauvée par le romantisme de Victor Hugo ; celle-ci, abandonnée au fil des siècles, malmenée par les intempéries et saccagée par la Révolution Française se dresse, fragile et presqu’en ruine, au milieu de l’Ile de la Cité. Percier et Fontaine, chargés de l’habiller, l’ont revêtue du sol au plafond de tant de tentures de soie et de velours, semées d’abeilles, de « N », de couronnes de lauriers et d’armes de l’Empire, qu’elle dissimule son âge gothique sous une toilette néo-grecque du goût de l’époque. Quinze mille personnes sont attendues pour l’occasion : magistrats, représentants du corps législatif, maires des 36 grandes villes de France, ambassadeurs étrangers, conseillers d’État, et grands noms de la cour. 

Vers 9h.Un léger vent de panique souffle sur les Tuileries. Selon le cérémonial romain, la voiture du Pape doit être précédée d’un camérier à califourchon sur une mule. On cherche une mule, en vain. Après quelques hésitations, on trouve enfin « un âne assez propre »loué à la dernière minute pour 67 francs qu’on couvre de galons. C’est au nonce Spéroni, survivant des massacres de septembre 1792, que revient l’honneur de chevaucher la mule en brandissant la croix d’or. Il est suivi du carrosse de Joséphine, attelé de huit chevaux et aménagé pour le Pape, qui, fin prêt, quitte le Palais des Tuileries. Sur le chemin, on peut voir des maisons décorées de draperies, de tentures, de guirlandes de feuillages et de fleurs. Quelques cinq cent mille Parisiens, plus curieux que véritablement enthousiastes, s’agglutinent aux balcons ou descendent dans les rues afin de regarder le cortège passer. Arrivé dans la cour de l’Archevêché, le Pape est accueilli par le cardinal de Belloy. Il revêt alors ses ornements pontificaux, puis se dirige au seuil de l’église. 

10h30.Au son du « Tu es Petrus »de Lesueur, Pie VII remonte lentement l’allée de Notre-Dame jusqu’à un trône dressé à droite de l’autel, tandis que les cardinaux et évêques s’installent des deux côtés du chœur. Au milieu, deux fauteuils et deux prie-Dieu attendent Joséphine et Napoléon, qui, toujours aux Tuileries, se préparent.

11h. Des salves d’artillerie annoncent le départ des deux souverains, initialement prévu pour 10h. Ils prennent place dans un carrosse à sept glaces étincelant d’or et de pierres précieuses, tiré par huit chevaux « couleur soupe-de-lait » et caparaçonnés avec une richesse extraordinaire. Le cortège ruisselant d’or s’engage dans la rue Saint-Nicaise où l’empereur réchappa d’un attentat quatre ans plus tôt. Murat, accompagné de son état-major, précède le carrosse impérial. Il est suivi des escadrons de cuirassiers, de carabiniers et de chasseurs de la Garde, de quatre hérauts d’armes portant chacun cotte d’armes de velours violet et toque à plumes blanches. L’ensemble est suivi de voitures à six chevaux transportant ministres et grands officiers de l’Empire, ainsi que les princesses Bonaparte. Le cortège se referme par des grenadiers de la Garde, des canonniers à cheval et un escadron de gendarmerie d’élite. En tout, vingt-cinq voitures tirées par 152 chevaux et accompagnées de 7000 à 8000 cavaliers escortent l’empereur et l’impératrice.

11h50.Le cortège impérial arrive enfin à la rotonde spécialement érigée à l’arrière de la Cathédrale. Joséphine, habillée d’une robe de satin blanc semée d’abeilles d’or et brodée d’or et d’argent, descend de la voiture pour entrer dans l’Archevêché. Elle revêt alors son grand costume : un lourd manteau de cour en velours pourpre semé d’abeilles d’or et doublé d’hermine de près de 23 mètres de long. Un problème se pose. Comment faire pour marcher jusqu’au centre de Notre-Dame ? Impossible pour elle d’avancer sans aide. On dépêche donc les sœurs de Napoléon qui porteront le manteau de leur belle-sœur pour leur plus grand plaisir. On dépose enfin sur sa tête un somptueux diadème d’améthystes qui complète sa tenue. Napoléon, quant à lui, est habillé de bas de soie, d’une culotte et d’une veste de velours blanc à boutons de diamants, avec, par-dessus, un habit de velours cramoisi étincelant d’or. Il porte à son cou le collier de la légion d’honneur, et à sa taille, une épée où est enchâssé le Régent. Aidé de ses valets, il revêt lui aussi son grand costume de cérémonie : un manteau de cour de couleur pourpre brodé de fils d’or et d’argent « composant un riche décor d’abeilles, de lettres N entourées de rayons, de couronnes de laurier, d’épis de blés, pampres, étoiles et palmettes »et doublé d’hermine. On dépose sur sa tête une couronne d’or formée de feuilles de laurier. Ainsi parés, un premier cortège se forme pour les emmener jusqu’au narthex.

Vers 12h.Après plusieurs heures d’attente, le moment tant attendu arrive. Somptueusement parés, Joséphine et Napoléon, placés sous un dais porté par des chanoines, remontent la nef au son de La Marchede Lesueur. Ils sont encadrés de Kellermann, Lefebvre et Pérignon qui portent les honneurs dits de Charlemagne, mais dont aucun ne lui a appartenu, bien entendu. Le Pape, frigorifié par l’attente, descend tant bien que mal de son trône pour entonner le Veni Creatordevant l’autel ; Napoléon et Joséphine récitent leurs prières. Puis, se dirigeant vers le pied de l’autel, Napoléon passe devant son frère et lui confie : « Joseph, si notre père nous voyait ! ». On dispose au sol deux coussins afin que les souverains puissent s’agenouiller. Sur la tête et dans les mains de Napoléon et Joséphine, le Pape fait une triple onction avec le saint Chrême. Il bénit ensuite les couronnes, l’épée, les manteaux et les anneaux déposés sur l’autel. 

Le moment du sacre immortalisé par le peintre David commence alors : d’un pas, Napoléon monte à l’autel, s’empare de la couronne de laurier d’or, et, d’un geste symbolique, se couronne lui-même, au plus grand désarroi du Pape. Puis, l’Empereur saisit une deuxième couronne, formée d’un cercle d’or et décorée d’émeraudes qu’il dépose délicatement sur la tête de Joséphine émue aux larmes. Reprenant le sceptre et la main de Justice, Napoléon se dirige avec son épouse vers le grand trône élevé sur 24 marches au fond de l’église. Le Pape appelle alors sur eux les bénédictions du ciel et, après un baiser sur la joue, proclame la phrase sacramentelle : « Vivat Imperator in aeternum ! ».Les acclamations de la foule (réglées à l’avance par le protocole), répondent en cœur à l’annonce du Pape. Celui-ci regagne ensuite son trône et entonne un « Te Deum ». La messe composée par Paesiello reprend.

Vue de Notre-Dame de Paris lors du sacre de Napoléon, par Dorgez (1806)
©Historica Graphica Collection/Heritage Images/Getty Images

15h. Après 3h, la messe se termine enfin. Le Pape s’éclipse silencieusement avec sa suite vers la sacristie. Hors de question pour lui d’assister à la cérémonie civile ! Pendant ce temps, le Cardinal Fesch apporte à l’Empereur le livre des Évangiles, tandis que le président du Sénat lui remet la formule du serment constitutionnel. Posant sa main gauche sur l’Évangile et levant sa main droite, Napoléon déclare solennellement :« Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République ; de respecter et de faire respecter les lois du concordat et la liberté des cultes ; de respecter et faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique et civile, l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever aucun impôt, de n’établir aucune texte qu’en vertu de la loi ; de maintenir l’institution de la légion d’honneur ; de gouverner dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français ».Le chef des héraults d’armes conclut la cérémonie de sacre par ces mots : « Le très glorieux et très auguste Empereur des Français est couronné et intronisé. Vive L’Empereur ! ».Napoléon et Joséphine rentrent ensuite aux Tuileries en empruntant l’historique rue Saint-Denis. C’est ainsi que s’achève la journée du sacre. 

A retenir :

Le 2 décembre 1804, cela fait déjà à peu près 7 mois que l’Empire est proclamé, depuis le 18 mai 1804. Alors pourquoi organiser cette cérémonie ? Tout d’abord, l’Europe des Rois et des Empereurs s’est coalisée depuis 1793 contre la France qui a aboli la monarchie, il y a tout juste 11 ans. Ce sacre permet donc à Napoléon d’affirmer son statut sur la scène internationale. L’empereur souhaite également : instaurer et hisser la quatrième dynastie, celle des Bonaparte, au même titre que celle des Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens ; donner une légitimité à un pouvoir encore nouveau et contesté ; et ainsi, créer un empire héréditaire. Cependant, le sacre n’a pas eu véritablement l’effet escompté. En effet, la foule parisienne n’accorde à la cérémonie qu’une attention limitée, entre choc, indifférence, curiosité et scepticisme (« Ce fol empire ne durera pas son an », « Fallait-il assister à cette capucinade ? »dit-on alors) ; d’autant plus que l’objectif de Napoléon est un échec puisque lors de l’affaire Malet en 1812 et suite à son abdication, personne ne pense à son fils pour lui succéder. En 1815, l’Empire disparait, mais le faste déployé lors de cette journée reste immortalisé à jamais par le somptueux tableau de David qui contribue à faire vivre au fil des siècles le mythe de Napoléon. 

Pour aller plus loin :

Sources :

Par Océane Guichard pour Héritages