L’association Héritages est née d’une prise de conscience : notre génération a tendance à se désintéresser de la culture, de l’histoire et du patrimoine. Notre raison d’être est donc de partager un patrimoine plus accessible et plus vivant, pour qu’il soit au cœur de nos vies et de nos rêves. Monsieur Pierre Stépanoff, conservateur du patrimoine au Musée Fabre de Montpellier, a accepté de répondre à nos questions sur le rapport qu’entretiennent les jeunes avec le monde de la culture, et en particulier les musées. C’est ainsi qu’il nous enjoint tous à nous approprier le patrimoine, les musées et l’art afin de faire éclore le potentiel de notre génération.
D’une manière générale, comment considérez-vous la relation qu’ont les jeunes (15-25 ans) avec l’art et le patrimoine français ?
Il me semble que les jeunes ne sont pas suffisamment conscients du grand nombre de possibilités culturelles qui leur sont offertes. Le nombre important d’expositions, de musées et de lieux culturels accessibles et gratuits pour les moins de 26 ans peut leur permettre d’avoir un rapport gourmand à la culture. Les jeunes peuvent en user et en abuser librement. Cependant, à mes yeux ils ne se l’approprient pas suffisamment. A mon sens, il est primordial de sensibiliser le public aux arts dès le plus jeune âge, et cela ne se limite pas aux rares sorties scolaires au musée. Il serait bénéfique que l’Etat permette l’étude des arts dans de plus larges proportions à l’école, de sorte à ce qu’il fasse partie de l’horizon culturel de tous. Aujourd’hui, de nombreux jeunes passent à côté des musées sans y entrer, parce qu’ils ne sont pas poussés par les institutions et qu’ils ne se sont pas approprié ces lieux, cet art et cette histoire. Leur histoire !
Quelles sont, à vos yeux, les particularités de ce jeune public ?
Justement, je pense que les jeunes ont tous les outils pour s’approprier l’art, et en particulier la peinture, beaucoup plus facilement que les générations précédentes. En effet, avec la puissance des réseaux sociaux, on vit désormais dans une culture de l’image tout à fait considérable. Aujourd’hui, les jeunes sont capables de retranscrire leur vie en image, ce qui implique une réflexion sur le cadrage, l’esthétique, les couleurs etc. Je pense que cela permet aux jeunes d’avoir une compréhension naturelle de la peinture et de la démarche des artistes. Les jeunes apportent aussi un renouveau. Ils ont une curiosité universelle lorsqu’ils s’intéressent aux arts car leur vision n’est pas influencée par les traditions parfois encombrantes de l’histoire de l’art. Par exemple, j’ai constaté qu’ils s’intéressaient beaucoup à l’art « pompier » du XIXème siècle, une période souvent boudée par les historiens qui eux préfèrent les Avant-gardes. C’est très positif, grâce à cette curiosité universelle, ils peuvent tout s’approprier et mettre en lumière des périodes ou des artistes délaissés.
Est-ce qu’attirer les jeunes est un enjeu important pour les musées aujourd’hui ? Selon vous qu’attendent les jeunes vis-à-vis du musée ?
L’enjeu pour le musée, et notamment le musée Fabre, est d’attirer les étudiants et les jeunes actifs, qui constituent une part importante de la population montpelliéraine. Si nous arrivons à avoir un public étudiant important, les jeunes qui se lancent dans leur carrière professionnelle et commencent à fonder une famille sont sans doute les plus absent. Des mesures ont été mises en place par les pouvoirs publics afin d’encourager les jeunes à aller au musée comme, par exemple, la gratuité pour les moins de 26 ans. Mais au delà, il est important de faire du musée un lieu intégré dans la vie des jeunes ; qu’il devienne un des espaces de leur vie sociale, de leurs rencontres, voire de leurs dates.
Il est important de leur donner à voir le musée d’une manière différente en jouant notamment sur les imaginaires. Par exemple, le Musée Fabre a mis en place des nocturnes annuelles réservées exclusivement aux étudiants. Ça a tant de succès que nous réfléchissons à ouvrir le musée Fabre un soir par semaine ou par mois pour permettre aux jeunes de découvrir le musée sous un autre angle. Le musée est tellement plus magique de nuit ! D’autres initiatives – telles que des escapes games, des jeux de sociétés ou des parcours plus interactifs – sont adoptées par les musées afin d’encourager les jeunes à s’approprier leur patrimoine. Cependant, il est nécessaire de ne pas dénaturer les arts ni la vocation du musée en voulant le rendre plus accessible. L’utilisation de la technologie ou de moyens divertissants doit rendre d’autant plus lisible les œuvres, le musée, sa collection et leurs raisons d’être. Il n’y aurait pas de sens pour le musée d’essayer d’être aussi divertissant qu’un jeu de société ou qu’un jeu vidéo. Le but de ces activités ludiques est de rendre plus saillant, par le jeu, ce qui distingue précisément le musée et l’art d’autres activités : il permet d’entretenir un rapport unique à des images fixes, par opposition à la majorité des images qui abreuvent le monde contemporain. Le but n’est pas d’abaisser la culture pour la rendre banale, mais bien de permettre à tout le monde d’accéder à ce qui était auparavant réservé à une élite.
En finalité, que pensez-vous du rôle que les jeunes ont à jouer dans le monde de l’art et de la culture, aujourd’hui et demain ?
Je suis très optimiste pour le futur car la nouvelle génération a un immense potentiel ! Les jeunes sont bien plus conscients que l’art est un espace subversif, révolutionnaire même, où l’on voit des choses invraisemblables et étonnantes. On y trouve de la passion, de l’érotisme, de la folie, des transgressions et des délires visuels qui n’ont rien à envier à ceux de notre époque. Les jeunes ont conscience que la peinture dépoussière l’histoire pour lui rendre son aspect charnel, sensible. Visiter un musée n’a rien d’une corvée ennuyeuse, c’est un lieu de découverte et d’émotions, où l’on peut trouver des œuvres étranges ou mystérieuses. On peut y venir avec la soif d’en apprendre plus, ou bien s’y promener sans autre but que d’être dans un endroit beau, calme et silencieux. Ce genre de lieux est devenu si rare aujourd’hui. Je les encourage donc à ne pas hésiter à s’approprier les musées, l’art et le patrimoine qui est offert à leur regard. Car c’est leur héritage, et bientôt, ce patrimoine sera entre leurs mains.
Propos recueillis par Pauline Dukers
Merci à Monsieur Stépanoff pour son temps et ses réponses.