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« L’hiver arrive » … sur la fin du Moyen Âge

13/06/2021 | by HERITAGES_OFF

Réchauffement climatique, fonte des glaces, espèces en voie de disparition… Voilà des termes qui prennent aujourd’hui de plus en plus d’ampleur et qui nous sont plus que familiers, dans un contexte XXI ème siècle où l’environnement devient un sujet extrêmement politisé. De fait, le climat a souvent joué un rôle majeur dans l’évolution des hommes, et pas toujours dans le sens d’une tendance au réchauffement. Au contraire, la fin du Moyen-Age a vu s’ouvrir une longue période de refroidissement climatique globalisé qui durera environ cinq siècles, période connue sous le nom de « Petit Âge glaciaire » (ou PAG, pour les intimes…). Cet épisode climatique majeur nous invite à nous interroger de la manière suivante : comment s’adapter face à un climat qui change et devient extrême ? Problématique on ne peut plus actuelle…

Scène d’hiver avec patineurs et trapes aux oiseaux, P. Bruegel – 1566 Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Qu’est-ce que le PAG ?

Le Petit Âge Glaciaire – terme forgé par l’historien américain François Matthes au début du XXèmesiècle – se caractérise par une série d’hiver longs et froidsautour de l’Atlantique Nord, allant du milieu du XIVèmesiècle au milieu du XIXèmesiècle. Les bornes chronologiques font l’objet de débats entre historiens et climatologues, en fonction des causes que l’on considère plus décisives, c’est pourquoi l’on préfèrera donner des approximations assez larges. De manière générale, cette période voit la température moyenne baisser d’1°C par rapport à la période qui la précède et que l’on appelle « l’Optimum Médiéval ». Pourtant, cette vague de froid n’est pas complètement uniforme sur cinq siècles, il faut préciser certaines fluctuations malgré la tendance générale : par exemple, on distingue trois phases particulièrement virulentes, la première entre 1300 et 1380 appelée « l’hyper petit âge glaciaire », la deuxième dans le dernier tiers du XVIIèmesiècle, et enfin la troisième entre 1815 et 1860. A l’inverse, certains étés ont été recensés comme particulièrement chauds, comme dans les Alpes mi-XVIIIèmesiècle.

Quelles sont les raisons d’un tel refroidissement climatique ? Là encore, les choses ne sont pas encore bien définies… Il semblerait que le PAG procède de plusieurs phénomènes différents. D’une part, on suppose que cela est dû aux éruptions massives de quatre volcans dans la deuxième moitié du XIIIème siècle. Or une éruption volcanique produit des aérosols qui peuvent diminuer l’efficacité du rayonnement solaire, et la conjonction de ces différentes éruptions a pu avoir un impact climatique majeur. Comme de nombreuses éruptions importantes se sont répétées au cours de la période, cela a pu concourir à maintenir la baisse du climat au fil des siècles. D’autre part, certains climatologues accusent la diminution cyclique de l’activité solaire, puisque le Soleil suit des cycles séculaires de variabilité lumineuse. Or il s’avère que de 1400 à 1600, le Soleil a connu une baisse de rayonnement, et plus encore entre 1650 et 1715 où le phénomène, notable, est appelé « minimum de Mander ». Enfin, certains spécialistes avancent que ce pourrait être également dû à l’augmentation des précipitations, comme en 1315, année marquée par des précipitations extrêmement soutenues.

L’historien face aux sources

Ce phénomène est très complexe à étudier et fait appel à plusieurs disciplines pour croiser les sources, puisqu’à l’époque, on n’utilise pas le thermomètre pour relever la température régulièrement – il faut attendre pour cela la fin du XVIIIèmesiècle avec l’apparition du degré Celsius. Quelles sont les sources à la disposition des historiens ? Elles sont multiples : les données historiques, comme les dates de vendanges ; les données littéraires, comme les lettres et registres paroissiaux ; mais aussi les données naturelles qu’analysent les scientifiques à travers la paléoclimatologie, en analysant par exemple l’évolution des glaciers ou encore les anneaux des arbres. Il s’agit de comparer ces différentes sources pour traduire les sources écrites en données objectives et essayer de transcrire les données quantitativement, en données chiffrées.

Le Dénombrement de Bethléem, P.Bruegel, 1566. Il est conservé au musée Oldmasters à Bruxelles.

Les Chasseurs dans la neige, P. Bruegel, 1565, conservé au  Kunsthistorisches Museum de Vienne, en Autriche

En fait, la difficulté d’un tel travail provient de ces sources littéraires non-objectives, qui résultent de perceptions subjectives. Prenons l’exemple de David Fabricius, pasteur allemand de la fin du XVIIèmesiècle : celui-ci relève dans un carnet la météo tous les jours, et pour se faire, il emploie 100 termes différents, comme « froid », « très froid », ou encore « froid comme un lit de paille ». Difficile de savoir ce que cela représente en terme de degrés Celsius ! La littérature nous livre pourtant des témoignages qui, s’ils ne donnent pas de données exactes, permettent néanmoins d’en avoir une idée approximative. Par exemple, en Hollande à la fin du XVIèmesiècle, on rapporte que les premières gelées ont eu lieu à la fin du mois d’août. Sacré record ! Ou encore en 1709, année célèbre pour son « Grand Hiver » terrible, il est écrit que le Rhin était complètement gelé, de sorte que des chasseurs ont pu faire traverser un sanglier sur une luge !

De l’influence du PAG sur les arts

L’une des multiples sources de l’historien est l’art pictural, qui livre les représentations particulières que se fait une population, de ses paysages notamment. La peinture hollandaise du XVII ème siècle en est une bonne illustration : on y trouve beaucoup de paysages d’hiver. Cette constatation entraîne l’hypothèse suivante : serait-ce des représentations de ce refroidissement qu’est le PAG, et qui aurait inspiré les artistes par ses hivers particulièrement rigoureux ? L’hiver de l’année 1565 est l’un des plus sévères en Hollande. Or il est concomitant des toiles de Bruegel, toiles qui représentent souvent un hiver très rude, avec des étendues d’eau gelées sur lesquelles on organise des fêtes populaires. Il n’y a qu’à voir Les chasseurs dans la neige, qui date de cette année-là : le paysages est entièrement blanc de neige, et les étangs servent de patinoires géantes ! Pourtant, s’il y a une influence certaine du PAG sur la peinture hollandaise, cette dernière n’est pas forcément un témoin fidèle, puisque les sources écrites soulignent quand même une certaine variabilité climatique, tandis que les peintres aiment à représenter un hiver glacial. En fait, on peut replacer cette tendance dans son contexte historique, à savoir l’âge d’or de la peinture hollandaise, dans ce moment particulier où les Provinces-Unies (les Pays-Bas) se séparent de l’Espagne et donc cherchent la revendication d’une identité propre, qui passerait par exemple par la représentation d’un hiver froid typiquement hollandais par comparaison avec l’Espagne ensoleillée et torride.

L’art pictural n’est pas le seul à avoir été influencé par le PAG : l’art musical l’a été également ! En effet, au XVII ème siècle, un luthier, un certain Stradivarius, se fait connaître pour la qualité exceptionnelle de ses violons, qui encore aujourd’hui fascine les plus grands violonistes. Des recherches récentes montrent que cette qualité serait due au climat froid qui englobait l’Europe dans la deuxième moitié du siècle, qui aurait permis une homogénéité particulière dans la densité du bois utilisé pour l’instrument. De fait, la densité varie moins dans les bois anciens parce que les arbres ont connu des températures plus froides, ce qui fait qu’ils ont poussé moins vite et sont donc de qualité meilleure. Ainsi, cette meilleure densité du bois, plus régulière, a permis à Stradivarius de fabriquer des violons au son divin. Malgré tout, le bois ne fait pas le violon, et il fallait certainement allier la qualité du matériau au grand talent de Stradivarius pour réussir un tel exploit !

Stradivarius, © leemage

Quelles conséquences sur la population ?

Si l’art bénéficie par certains aspects du froid glacial du PAG, les hommes, eux, en pâtissent grandement. Les hivers enneigés et prolongés entraînent des gelées de plantations, d’où des pertes de récoltes, et par conséquent de grandes famines qui peuvent susciter des frondes. En effet, jusqu’à la révolution industrielle du XIXèmesiècle, les sociétés urbaines dépendent de la production agricole et de l’approvisionnement venu des campagnes. Or cette production est parfois inexistante du fait de crises climatiques, durant lesquelles par exemple les moulins à eau ne peuvent plus tourner et restent parfois bloqués jusqu’à trois mois par la glace. Les stocks, la plupart du temps, ne parviennent pas à subvenir aux besoins de populations paysannes et citadines, qui se révoltent alors.

Un autre problème touche les populations montagnardes : l’avancée des glaces. Les glaciers envahissent pâturages et villages, à tels points que les populations doivent quitter les villages engloutis. De nombreux récits et légendes se développent à cette époque en rapport avec l’avancée des glaciers, comme par exemple dans les Alpes allemandes avec la légende de l’Übergossene Alm : il s’agirait d’un alpage englouti par les glaces, qui fut jadis prospère mais qui fut englouti en punition des malversations de ses habitants. Assez radical comme morale, somme toute !

Aquarelle d’Escher de la Linth, 1818.

Comment s’adapter ?

Les populations européennes ont alors cherché de nouvelles stratégies pour s’adapter à ces situations hivernales redoutables. Certains produits sont davantage développés, comme par exemple la bière pour répondre au manque d’eau courante, ou encore à Amsterdam l’invention du brise-glace (navire utilisé pour ouvrir des voies de navigation prises par la glace) afin de permettre l’approvisionnement de la ville.

La fin du règne de Louis XIV a été marqué par des hivers glaciaux qui, combinés avec la politique guerrière du roi, ont fait de nombreux ravages. On parle souvent du terrible hiver de 1709, hiver très long, durant lequel il a fait jusqu’à -16°C à Paris?

Aquarelle d’Escher de la Linth, 1818.

La Seine était complètement gelée. On rapporte même que le vin du roi a gelé ! Pourtant, cet hiver exceptionnel n’a fait que 600 000 morts comparé à la famine de 1693-1694 qui fit 1,7 millions de morts (autant que la Première Guerre Mondiale). Pourquoi un tel écart ? Grâce au « miracle de l’orge », au sens où des semis d’orge ont été autorisés au printemps, dès le dégel, pour pallier toutes les récoltes perdues. Et la moisson fut abondante !

Enfin cette adaptation s’est faite par de nouvelles infrastructures. On construit d’immenses greniers qui servent de banque alimentaire par leur capacité de stockage, même si les réserves ne peuvent durer plus d’un an puisque vins et récoltes se conservent mal. Par ailleurs, c’est le moment où les moulins à vent vont progressivement remplacer les moulins à eau. Le PAG s’accompagne donc d’un réel progrès technique.

Aquarelle d’Escher de la Linth, 1818.

Les populations européennes ont alors cherché de nouvelles stratégies pour s’adapter à ces situations hivernales redoutables. Certains produits sont davantage développés, comme par exemple la bière pour répondre au manque d’eau courante, ou encore à Amsterdam l’invention du brise-glace (navire utilisé pour ouvrir des voies de navigation prises par la glace) afin de permettre l’approvisionnement de la ville.

Ainsi, le Petit Âge Glaciaire a profondément refroidi l’Europe de la fin du Moyen-Âge, et cette situation climatique a perduré pendant cinq siècles – même s’il faut reconnaître des variations considérables qui empêchent de considérer cette période de façon totalement uniforme, puisque par exemple la Renaissance fut moins touchée par ce phénomène. Néanmoins, ces vagues de froids ont obligé les hommes de l’époque à s’adapter progressivement, jusqu’à ce que la tendance s’inverse à partir des années 1860, avec l’entrée dans l’ère industrielle. Aujourd’hui, la température moyenne a augmenté d’1°C depuis le XIXèmesiècle : contrairement aux hommes du Moyen-Âge, nous ne faisons pas face à un refroidissement mais bien à un réchauffement. A leur école, apprenons-nous aussi à nous adapter à cette nouvelle donne climatique ! 

Pour aller plus loin

Par Isaure de Montbron pour Héritages