Madame Brigitte Galbrun est depuis 25 ans, conservateur des antiquités et objets d’art (CAOA) du département de la Manche. Originaire de Rennes, elle a toujours travaillé dans le secteur du patrimoine. Pour Héritages, elle revient sur son parcours et nous explique les enjeux de son métier passionnant.
Quel est votre parcours et comment devient-on conservateur du patrimoine ?
J’ai d’abord été guide conférencière étudiante (au Mont Saint-Michel par exemple) avant d’occuper mon premier poste comme animateur patrimoine de la ville de Rennes. J’ai par la suite enseigné aux Beaux-arts de Rennes, puis à l’Université de Rennes 2 en Histoire de l’architecture. J’ai également tenue une galerie d’art contemporain. En 1995, je suis partie dans le département de la Manche comme conservatrice déléguée des objets d’art et en 2010, je suis devenu conservateur en titre.
Pour accéder à ce poste, il y a un niveau minimum d’études demandé. Master 2 généralement. Il n’y a pas de formation spécifique aux objets en Histoire de l’art, ce qui est un manque à mon goût. Le titre de CAOA étant dévolu par l’État (nous sommes nommés par arrêté ministériel), nous pouvons bénéficier par la suite d’une formation continue de l’Institut National du Patrimoine (INP) qui est d’une grande qualité. Ce cursus m’a permis de me spécialiser dans le métal et l’orfèvrerie. Je suis d’ailleurs formatrice à l’INP dans le domaine de l’orfèvrerie. J’ai toujours été intéressée par la formation et l’enseignement.
Avez-vous un lien particulier avec le patrimoine ? Qu’est-ce qui vous a poussé à faire cette carrière ?
Je suis fille d’architecte. Mon père avait l’un des plus gros cabinets d’architecte d’après-guerre à Rennes et a travaillé au ministère de la Reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. J’ai été bercée par ce goût pour l’architecture et le patrimoine. J’ai beaucoup voyagé enfant, visité les musées… On m’a appris à regarder l’architecture. Ce fut un terreau fertile puisque ma sœur est archéologue en Grèce. Ma curiosité m’a ensuite donné l’envie d’expérimenter plusieurs cadres professionnels. Dans le département de la Manche, je me suis occupée 10 ans d’un musée, La Verrière, après avoir été conservateur déléguée. J’ai pu organiser des expositions, des concerts… Lorsque l’on m’a proposé de devenir conservateur en titre, j’ai vu l’évolution des missions et le nouveau « terrain de jeu » qui s’offrait à moi, ce qui m’a donné envie d’occuper le poste.
Quels sont les principaux enjeux et missions d’un CAOA ?
Notre titre est issu des vieilles appellations des XIXe et XXe siècle. Ces missions ont été créées dans la foulée de la loi 1905 de séparation de l’Église et de l’État. Elles étaient occupées initialement par des érudits, des prêtres, des bénévoles. Le métier s’est professionnalisé et les Conseils départementaux ont créé des postes de conservateurs. Le statut est resté un peu « bâtard » : nous sommes des agents des conseils départementaux le plus souvent, mais des missions régaliennes nous sont également octroyées par le Ministère de la Culture en lien avec la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles).
Nous avons pour mission de faire l’inventaire du patrimoine. Tous les cinq ans, nous procédons à un recollement (vérification et pointage sur un inventaire) du patrimoine pour vérifier la présence dans toutes les collectivités des objets protégés au titre des monuments historiques (MH). Nous instruisons les dossiers de présentation en commission régionale pour les protections MH au 1er niveau : l’inscription. Nous sommes également assermentés et en charge des vols, et nous tenons à jour une base de données publique recensant les différents objets. S’ajoute à cela la valorisation du patrimoine.
Actuellement, nous organisation une grande exposition au Mont Saint-Michel, « Merveilles d’Or et d’Argent, Trésors cachés et savoir-faire de la Manche », fruit de trois années de travail. Nous participons à des colloques, réalisons des articles, animons des conférences… En Normandie, nous nous occupons de l’opération « pierres, vent, lumière »destinée à valoriser le patrimoine des particuliers et des associations qui se décident à ouvrir leurs lieux le temps d’une soirée. Nous n’avons pas assez de 39h par semaine ! Mais c’est un métier de passion.
Faites-vous de la médiation auprès des populations pour les sensibiliser à leur patrimoine ?
Nous faisons aussi des réunions avec les collectivités et les conseils départementaux pour donner les bonnes pratiques, conseiller et sensibiliser les personnes à leur patrimoine. Le conseil départemental de la Manche est très investi dans la question du patrimoine. Les populations nous connaissent et font régulièrement appel à nous. Un réseau a été tissé et la communication est facilité.
Vous êtes acteur dans le domaine public, où se situe votre profession par rapport à l’État ? Et quelles sont vos relations avec les collectivités locales ?
Notre titre de CAOA nous est accordé par la DRAC et à ce titre nous avons des missions régaliennes. Nous dépendons du Conseil départemental, de la Manche dans mon cas, et nous sommes aussi agents de l’État.
Depuis 2015, avec la politique du Conseil départemental, nous octroyons des aides pour protéger les églises non classées ou inscrites pour les communes de moins de 5000 habitants. Nous majorons ces aides s’il y a formation d’une association, s’il y a une souscription publique ou si la population se mobilise pour son patrimoine par un concert, une kermesse…
Le Conseil départemental essaye de toucher les jeunes, de valoriser l’artisanat et l’art. Beaucoup d’entreprises et d’ateliers de Haute-Couture sont installés dans la Manche, Vuitton ou Dior par exemple.
Comment choisissez-vous quels sont les objets à restaurer ou valoriser ?
Lors des recollements, nous vérifions la présence et l’état des objets déjà inscrits ou classés. S’ils nécessitent une restauration, nous faisons une proposition au propriétaire d’engager celle-ci. S’ils sont d’accord, un dossier de financement est monté. Mais nous regardons aussi ce qu’il y a à côté, dans les sacristies, les greniers… dès que nous voyons un objet intéressant, nous proposons de faire un dossier pour une future inscription. Avec nos collègues de la DRAC, nous discutons du dossier, et nous proposons à une commission différents dossiers d’histoire de l’art sur des peintures, des sculptures… qui sont ensuite votés. S’il y a l’unanimité ou la majorité, un arrêté de protection est passé. Si l’objet est exceptionnel, on peut envisager un classement au titre des monuments historiques qui est le plus haut niveau de protection et non une simple inscription. La commission se réunit alors à Paris et suit le même processus.
Quels sont les plus beaux objets et chefs d’œuvres du département de la Manche dont vous avez la charge ?
Nous avons une magnifique collection de statues du Moyen-Age, de l’orfèvrerie de l’Ancien Régime, des bijoux de la maison Mellerio du XIXe, des objets rescapés du Mont Saint-Michel du XIVe… le choix est vaste ! Nous avons un ostensoir chryséléphantin, en ivoire et argent doré datant du XXe siècle qui est unique en France. Il y a près de 2000 objets classés sur le département et 30 000 inventoriés ! Le patrimoine est exceptionnel dans le département de la Manche.
En cas de vol ou de dégradation d’un objet classé MH, comment intervenez-vous ?
Une cellule a récemment été créée à Paris au niveau du ministère de la Culture. De notre côté nous faisons des formations pour donner les bonnes pratiques aux services d’ordre et aux personnes des communes en charge du patrimoine : comment ne pas écailler les objets et les peintures en les nettoyant par exemple.
Nous leur demandons d’être vigilants en cas de vols et de nous prévenir s’ils surviennent. Lors du recollement, les gendarmes sont présents. La brigade de gendarmerie du territoire centralise les fiches et les photos de tous les objets, que nous envoyons également à la cellule de Paris.
Nous luttons aussi beaucoup contre les restaurations sauvages. Les communes ne connaissent pas toujours les réglementations et certaines polychromies ont été perdues à jamais, même si cela partait d’une bonne volonté. Aucune restauration ne peut être faite sur un objet classé ou inscrit sans passer par notre expertise.
Propos recueillis par Antoine Brucker