Héritages

« Les fêtes font le prestige de la Cour. Elles animent la vie monotone et ritualisée du courtisan, éblouissent bourgeois et étrangers, rassemblent la noblesse parfois infidèle au château. Paris n’ignore pas les fêtes. (…)Mais aucune n’a la majesté, la richesse, la grandeur qui règnent à Versailles. Â»[1] 

7 mai 1664. Les jardins de Versailles brillent de mille feux. Ce soir-là, Louis XIV lance la première d’une longue série de fêtes splendides et démesurées : Les Plaisirs de l’Ile enchantée, donnée officiellement en l’honneur des deux reines ; officieusement pour Mademoiselle de La Vallière, favorite du roi. Durant 7 jours et 7 nuits se succèdent des divertissements d’un faste inouï sur le thème romanesque Roland furieuxdu poète l’Arioste : la magicienne Alcine retient Roger et ses chevaliers prisonniers dans son palais pour en faire ses amants. A la fin de la fête, les chevaliers se révoltent et détruisent le palais d’Alcine. Qui pour jouer le beau Roger ? Louis XIV, évidemment ! Â« Armé à la façon des Grecs d’une cuirasse de lame d’argent couverte d’une riche broderie d’or et de diamants, montant un des plus beaux chevaux du monde, dont le harnais éclatait d’or, d’argent et de pierreries Â»[2]le Roi se met en scène dans un magnifique défilé qui ouvre les festivités. 

Carrousels, courses de bagues et de têtes (exercices de cavalerie), festins, promenades dans les jardins, visites de la ménagerie royale, feux d’artifice, musiques, ballets et pièces de théâtre rythment les journées. Cette fête marque aussi les premières collaborations entre Molière et Lully (La princesse d’Élide), et la première représentation du Tartuffeque le Roi juge Â« fort divertissant »,mais qu’il doit dans un premier temps interdire Â« se privant d’un plaisir pour complaire à ceux qui sont moins capables d’un juste discernement Â»[3].  

La fête donnée par Louis XIV pour célébrer la reconquête de la Franche-Comté, à Versailles en 1674, cinquième journée : feu d’artifice sur le canal de Versailles, par Jean Le Pautre, 1676. Gravure, 0.30 x 0.42 cm, Château de Versailles, Invgravures65. © Château de Versailles-Jean-Marc Manaï 

Ces milles délices rassemblent Â« une infinité d’artistes et d’artisans de Paris paraissant une véritable petite armée Â»[4]Danseurs, jardiniers, fontainiers, artificiers, cuisiniers, décorateurs et machinistes unissent leur talent pour créer un monde idyllique et féérique où des nymphes, des faunes et des bergers dansent sur l’eau ; des monstres marins et des baleines surgissent des bassins ; et des nains combattent des géants afin d’émerveiller les invités. 

A cette fête digne de l’Olympe sont conviés les dieux Pan (Molière), Diane (Madeleine Béjart) et Apollon (La Grange) ; lequel, descendu des cieux sur son char éclatant d’or, est entouré par les quatre âges du monde (le siècle d’or, d’airain, d’argent et de fer), les douze Heures du jour et les douze Signes du Zodiaque. Ces derniers sont ensuite rejoints par les quatre Saisons pour effectuer un ballet somptueux sur une musique enchanteresse composée par Lully ; pendant qu’une légion de serviteurs vêtus en vendangeurs, jardiniers ou moissonneurs, et escortés par des animaux exotiques (chameaux, ours, éléphant…) apportent des mets exquis aux invités. 

Les chiffres donnent le vertige : plus de 600 convives, 8 trompettes, 36 violons et flûtes, plus de 4 000 bougies, 200 flambeaux de cire blanche tenus par autant de personnes vêtues en masques, un nombre infini de chandeliers, 1 théâtre construit spécialement pour l’occasion par Vigarani sur l’actuel Bassin d’Apollon, 4 portiques de 10 mètres de haut, et un char de plus de 5 mètres ! Cette profusion fait de Versailles (encore en construction à l’époque) le futur lieu de réjouissances par excellence, et de la cour de Louis XIV le centre des plaisirs, du bon goût et de la galanterie. 

La Fête « Les plaisirs de l’île enchantée Â» donnée par Louis XIV à Versailles, première journée : 7 mai 1664. Courses de bagues.
Silvestre Israël (1621-1691)
©RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

En plus des Plaisirs de l’Ile enchantée en 1664, deux autres divertissements ont contribué au rayonnement de Versailles : Le Grand divertissement royal en 1668 célébrant la paix d’Aix-la-Chapelle donné avec une Â« magnificence digne du plus grand monarque du monde Â»[5], et Les Divertissements de Versailles en 1674 fêtant l’annexion de la Franche-Comté au royaume.

A la Cour, la fête est non seulement un divertissement, mais un exercice imposé qu’un Prince se doit de réussir : Â« l’opinion ne pardonnant ni parcimonie dans les dépenses, ni médiocrité des réjouissances Â»[6] . Elle fait partie intégrante du système monarchique pour lequel organiser une fête revient à une démonstration de force équivalente à lever une armée : Â« Les divertissements représentent les guerres dans le temps des paix qui les interrompent, comme les guerres sont les fêtes du prince dans un autre champ et sur une autre scène. La guerre, c’est la fête continuée par d’autres moyens, comme le divertissement, c’est la politique qui se poursuit sur un autre registre Â».[7]  

En plus de codifier cet exercice, Louis XIV lui donne un éclat jusque-là jamais atteint pour en faire un instrument au service de sa gloire et de celle de la France ; l’image du roi et du royaume ne faisant qu’un. Le Roi avait compris l’intérêt de ces divertissements dès la célébration du Grand Carrousel en 1662 : « Les peuples se plaisent au spectacle, où au fond on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cÅ“ur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits Â»[8]Et Versailles, chef d’œuvre architectural et symbole de la puissance royale, lui offre le cadre parfait pour ces fêtes. Par un tel déploiement de richesse, Louis XIV affirme la puissance du royaume de France sur l’échiquier international.

Jusqu’à la fin de son règne, les divertissements ne cesseront pas à Versailles, mais diminueront en faste. Les occasions restent nombreuses : victoires militaires, naissances, mariages, baptêmes royaux, ou visites d’ambassadeurs pour lesquels artistes et artisans rivalisent d’intelligence et débordent d’inventivité afin de créer une scénographie somptueuse subjuguant le public ; tous faisant de Versailles un modèle envié par toutes les cours d’Europe. 

A retenir :

  • Si les divertissements ont jalonné le règne de Louis XIV, trois fêtes ont particulièrement marqué les esprits : Les Plaisirs de l’île enchantée (1664), Le Grand divertissement royal(1668), et Les Divertissements de Versailles(1674).
  • Ces divertissements avaient avant tout une intention politique : « Par là nous tenons leur esprit et leur cÅ“ur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits Â»(Louis XIV).
  • Les fastes déployés pour chaque divertissement ont fait de Versailles le centre du plaisir, du luxe et de la galanterie, et un modèle envié par toutes les cours d’Europe. 

[1]Jean-François Solnon, La Cour de France, pages 446, 452 à 458.

[2]Extrait de la relation officielle Les Plaisirs de l’Isle Enchantée, course de bague, collation ornée de machines, comédie meslée de danse et de musique[…], à Paris, chez Robert Ballard, 1664

[3]Paroles de Louis XIV

[4]Extrait de la relation officielle Les Plaisirs de l’Isle Enchantée, course de bague, collation ornée de machines, comédie meslée de danse et de musique[…], à Paris, chez Robert Ballard, 1664

[5]Gazette du 20 juillet 1668

[6]Jean-François Solnon, La Cour de France, pages 446, 452, 458. 

[7]Louis Marin, Le portrait du roi, les éditions de minuit, 1981, p. 240.

[8]Louis XIV dans ses mémoires pour l’instruction du Dauphin

Pour aller plus loin

Par Océane Guichard