Petites filles rêvant de leurs premiers tutus et futures pointes, jeunes femmes regrettant d’avoir abandonné la danse si tôt, passionnés d’Opéra et de ballet, nostalgiques d’un siècle révolu, amateurs de l’impressionnisme ou simples curieux, tels sont ceux que l’on retrouve au Musée d’Orsay, se pressant à l’exposition : « Degas à l’Opéra ».
Dès ses plus jeunes années, Edgar Degas se voit transporté dans le milieu artistique. Son père, banquier, organisait à l’époque des concerts dans leur grand appartement. C’est ainsi par la musique que Degas entre à l’Opéra. En effet, ses premiers tableaux ayant trait au monde du spectacle seront ceux de musiciens. Sur ces derniers, on voit apparaitre petit à petit les tutus des danseuses, mais l’attraction première reste la musique et notamment le bassoniste Désiré Dihau dans son portrait intitulé l’orchestre de l’Opéra et peint par Edgar Degas en 1870. C’est d’ailleurs ce dernier qui l’introduira dans les coulisses de l’opéra. Le Musée d’Orsay a également fait venir de Brooklyn le Portrait de Mlle Fiocre, danseuse dans la source. Première composition de Degas représentant exclusivement une danseuse, ici paysanne caucasienne pour le ballet de Léo Delibes.
A la suite des tableaux concernant la musique, la maquette de l’opéra nous est présentée. Immensément grande et réaliste, elle impressionne beaucoup les petits et les plus grands, elle nous permet de saisir la grandeur de cet édifice et de mieux identifier les différents espaces à savoir la scène et la salle de spectacle, le foyer, le grand escalier ainsi que la rotonde des abonnés, enfin les coulisses, les couloirs et les salles de répétition.
Suivant le cours logique de l’introduction de Degas à l’Opéra Garnier, dont il n’appréciait que peu l’architecture préférant l’ancien Opéra de Pelletier, l’exposition prend alors un tour plus sombre. Degas va en effet découvrir au-delà des salles de spectacle à l’ambiance feutré une réalité bien moins candide. L’univers des tutus roses devient alors milieu de la prostitution, des abonnés, et de la pression infligée à ces jeunes danseuses. Partagées entre les mains de leurs mères, des mères maquerelles mais également de leurs protecteurs, abonnés habitués de l’opéra. On découvre alors différents tableaux de Degas dérangeants par l’atmosphère qui s’en dégage. Ainsi Trois Danseuses dans les coulisses ou Le rideau évoquent la présence masculine dans cet univers. La condition de danseuse est ici étalée devant nos yeux : elles dépendent des abonnés qui investiront dans leurs carrières, abordés et harponnés par leurs mères maquerelles. La petite danseuse de 14 ans, seule sculpture connue de Degas apparaît alors, criante de vérité, le menton levé et les sourcils froncés, véritable petit rat de l’Opéra.
Le rideau La petite danseuse de 14 ans
L’exposition se poursuit ensuite, consacrée aux tableaux d’un format nouveau inventé par Degas, les tableaux en long qui lui permettent de représenter les danseuses dans leurs répétitions et exercices. On découvre ou redécouvre alors le génie de Degas pour la transmission du mouvement, des corps et des efforts. La salle des tableaux longs est celle qui reflète ce que l’on connaît de mieux de Degas, la danseuse classique en entrainement, son tutu, ses pointes. On se réconcilie petit à petit avec le cruel monde de la danse à travers les tableaux aux couleurs pastel et poudrées. Suivent ensuite les tableaux de Degas orientés autour de la lumière de la scène et de ces coulisses. L’action se situe dans les jeux de perspective et les traits de lumière. L’exposition fait revivre ses danseuses et on a l’impression, l’espace d’un instant , d’être projeté à l’avant de la scène sous les flash des lumières et les applaudissements des spectateurs.
La leçon de danse, 1879
Enfin, notre promenade se finit dans un éloge de la couleur : les danseuses en jaunes et en bleu achèvent de nous convaincre de la grandeur de l’œuvre de l’artiste. Le Musée d’Orsay réunit en cette exposition ce que Degas fît de plus beau et dans la plus exquise des manières, Degas est le prince, l’Opéra son royaume. Ce dernier aura su capturer toutes les facettes d’un milieu complexe et bien plus sombre qu’il n’y parait au premier abord, laissant apparaître tour à tour la candeur des danseuses, la pénombre des coulisses et de la souffrance, la lumière de la scène et la beauté du mouvement.
Danseuses en jaune, 1885 Danseuses bleues, vers 1890
Exposition « Degas à l’Opéra », jusqu’au 19 janvier au Musée d’Orsay, entrée libre pour les moins de 25 ans.
Pour aller plus loin :
Par Mathilde Gadeyne pour Héritages