Héritages

Interview : 10 questions posées à un passionné d’histoire médiévale

03/11/2019 | by HERITAGES_OFF

Et oui, l’association Héritages c’est aussi des interviews et ce mois-ci, comme vous l’aurez compris, c’est l’époque médiévale qui est mise à l’honneur ! Alors venez à la rencontre d’un jeune héritier médiéviste qui n’a pas sa langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de parler de cette période ô combien méconnue et décriée!   

Léon Delarue, en pleine reconstitution historique

Léon Delarue, en pleine reconstitution historique

Et oui, l’association Héritages c’est aussi des interviews et ce mois-ci, comme vous l’aurez compris, c’est l’époque médiévale qui est mise à l’honneur ! Alors venez à la rencontre d’un jeune héritier médiéviste qui n’a pas sa langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de parler de cette période ô combien méconnue et décriée!   

Bonjour, je m’appelle Léon Delarue, j’ai 20 ans et je suis passionné d’histoire et avant tout de l’époque médiévale. J’ai grandi tout au sud-ouest de l’Île-de-France, fait un BAC L, une classe prepa littéraire à Versailles et suis maintenant en double licence Etudes Franco-Allemandes / Etudes Internationales. J’aimerais par la suite poursuivre mes études dans le journalisme franco-allemand car justement j’ai la double nationalité. Mais à côté de mes études, j’ai divers passe-temps comme la peinture, la musique, l’écriture – j’ai d’ailleurs déjà publié plusieurs livres – et surtout la reconstitution historique.

1. Quand es-tu réellement devenu passionné par cette époque et pourquoi ? 

Depuis tout petit l’histoire m’intéresse, en particulier l’histoire médiévale et l’antiquité gréco-romaine. Et à 16/17 ans, j’ai rencontré une troupe de reconstitution du 15e siècle qui m’a chaleureusement accueilli, Les Regrattiers d’Histoire. J’en fais maintenant partie depuis 5 ans. Le fait de « revivre l’histoire », une histoire qui nous passionne, me plait énormément. Et cela ne veut pas dire qu’on néglige la fidélité historique. C’est aussi le travail de découverte, dans une époque dont on ne sait pas tout, imprégnée de croyances chrétiennes mais aussi de récits et de légendes païennes et bien plus anciennes, et qui traverse 1000 ans d’histoire tout en y étant transformée au cours des siècles. Si l’on me demandait quel personnage historique de l’époque médiéval aimerais-je être, je dirais le personnage que j’ai choisi pour la reconstitution : un jeune noble de la moyenne noblesse, étudiant à l’université. La noblesse confère un certain confort et un certain niveau de vie, des privilèges et le statut d’étudiant offre une liberté, des rencontres, des voyages et un emploi garanti à la sortie.

2. Peux-tu nous expliquer ce qu’est la reconstitution historique ? 

La reconstitution historique, c’est recréer la vie d’une époque donnée en se basant sur des sources historiques précises. C’est un travail de recherche avant tout, on lit les œuvres des historiens, on va dans les musées, on va à des conférences de spécialistes, on se rend souvent dans les cathédrales, et bien sûr on travaille avec des artisans historiques. La notion de reconstitution historique peut en fait se rapprocher d’archéologie expérimentale. Il existe tellement de rassemblements historiques médiévistes que je ne saurais tous les nommer, même les plus importantes, et je ne les connais pas toutes, surtout que je ne tourne que dans le nord de la France. Il y a les médiévales de Crèvecœur, Folleville, le Tournoi de l’Ordre de Saint-Michel, Blandy les Tours, et bien sûr les reconstitutions de grandes batailles comme Hastings ou Azincourt, etc.  Et puis il y a des événements multi-époques qui sont également très importants et que je voudrais mentionner : Sully-sur-Loire et le Marché de l’Histoire de Compiègne. Et ceci rien que pour la France …

3. D’ailleurs peux-tu nous dire quand commence et quand termine cette époque ? 

L’époque médiévale dure environ 1000 ans et il est dur d’en déterminer précisément les bornes chronologiques. 312 et la conversion de l’empereur Constantin Ier ? 476 et la fin de l’Empire Romain d’occident ? Baptême de Clovis entre 496 et 506 ? 1453 et la prise de Constantinople par les Turcs ? 1492 et la découverte de l’Amérique ? En vérité, ces dates ne sont là que pour donner des repères. La césure entre époque ne s’est jamais faite d’une année sur l’autre. Disons plutôt qu’il commence dans la seconde moitié du Ve siècle et se termine dans la seconde moitié du XVe siècle. Sans compter le critère géographique d’une époque. La Renaissance italienne par exemple commence dans les années 1450, au nord de la France il faut attendre 1500 environ.

4. Quelle est ta période favorite durant cette époque et pourquoi ? 

Ma période favorite s’étend du XIIIe siècle, l’âge d’or de l’époque médiévale, à la seconde moitié du XVe siècle, parce que c’est une période de profond changements – comme toutes les périodes du reste, mais la dynamique de ces siècles est particulière et d’ailleurs rarement traitée d’un seul tenant. Le XIIIe siècle est l’apogée du Moyen-Âge Central (du tournant de l’an mille jusqu’à la mort de Louis IX, en 1270, pour la France), s’en suit une période relativement sombre, marquée par la grande peste noire occidentale de 1348, qu’on appelle le Bas Moyen-Âge. Le XIIIe siècle, c’est les croisades, la paix (relative bien sûr) en Occident, un boom économique et démographique, l’expansion de la chrétienté, l’âge d’or de la chevalerie, les Communes italiennes, la Hanse de la mer Baltique, la croissance de l’écriture, les universités, les romans de Chrétien de Troyes, de grands personnages historiques comme Philippe Auguste, Jean Sans Terre, Frédéric II de Hohenstaufen, Louis IX, futur Saint Louis, le pape Innocent III, etc. Bref une période d’effervescence. Mais tout cela cache son lot de surprise, le début de la décadence de la chevalerie par exemple. Le XIVe siècle, c’est le début de la Guerre de Cent Ans, la papauté à Avignon, la fin de l’Ordre du Temple, la Bulle d’Or du Saint-Empire, etc. une époque de grand changement et de bouleversements. Quant au XVe siècle, c’est l’articulation entre la fin du chaos du XIVe siècle et le début d’un nouveau chaos aux XVIe et XVIIe siècle, c’est la fin des chevaliers, le début de la Renaissance, la croissance de l’humanisme, une véritable époque de transition où tout change.

5. Qui est pour toi LE grand souverain français de l’époque médiévale ? 

Pour moi, ce serait Saint Louis, pour tout ce qu’il a fait en France: les grandes réformes et ordonnances, sa notion de la justice, la force et la foi dont il a fait preuve, etc. je m’arrête rapidement parce que la liste est bien trop longue ; disons juste que c’est le souverain modèle de l’époque médiévale. Si vous êtes intéressé(e) je vous invite à lire une biographie intitulée Vie de Saint-Louis de Joinville.

6. D’ailleurs quels sont les clichés véhiculés sur le Moyen-âge ? Lequel t’agaces le plus ?

Il y en a tellement… la mauvaise hygiène, le paysan attaché à sa terre, le servage, le poids de l’équipement militaire, le fait que l’amure soit trop lourde pour pouvoir se relever, le peu d’éducation, rien à manger et tout le monde survie, l’opposition frontale entre paysans et chevaliers, etc. Je ne veux pas non plus affirmer le contraire et affirmer qu’à l’époque médiévale, tout était mieux qu’à notre époque, bien sûr que non. Mais tous ces clichés sont également loin de la réalité historique, du moins de ce qu’on sait aujourd’hui. Le cliché qui m’agace le plus porte sur l’idée générale de l’obscurantisme médiéval.

Illustrationn de Renart le Nouvel, de Jakemars Giélée. Combat de Renart contre Isengrin.

7. Quelles boissons et mets étaient les plus appréciés ? 

En ce qui concerne les boissons : la bière, le vin, l’hypocras, le vin de fruit, comme la framboise par exemple. A propos des mets, l’on peut dire que les mélanges sucrés-salés étaient très appréciés, les fruits dans les plats principaux étaient très souvent les bienvenus.

8. Et qu’en est-il de l’amour courtois ?

L’amour courtois se développe aux XIIe et XIIIe siècle surtout, c’est l’image de la femme inaccessible, comme une tour à conquérir, et cela exige une soumission totale de l’homme qui fera tout pour obtenir cet amour. Cela passe par des louanges, des poèmes chantés, de la musique mais aussi des exploits qui peuvent aussi bien mener l’homme à se surpasser ou à s’humilier. L’amour courtois, quelque part, c’est la femme au pouvoir. 

9. Quelles sont les œuvres d’arts les plus connues ? 

Notre conception de l’œuvre d’art ne peut pas s’appliquer de la même façon à l’époque médiévale. Si aujourd’hui on pense tout de suite à un tableau ou à une représentation picturale, il faut savoir qu’il y a 600 ans, la peinture est avant tout religieuse, les représentations picturales se retrouvent dans les églises, les danses macabres, les tombes et les gisants, les vitraux, les façades des cathédrales où les statues étaient toutes peintes, pensons à celles de Chartres ; dans les châteaux on trouve surtout les tapisseries bien sûr (Bayeux par exemple), les cathédrales en elles-mêmes sont des œuvres car les architectes étaient considérés comme des artistes, tout comme les orfèvres d’ailleurs. On pense bien sûr aux enluminures dans les livres, mais aussi à des fresques murales comme celle de la Wartburg en Thuringe actuelle, des sculptures sur cheminées comme celles du palais Jacques Cœur à Bourges. Il y a aussi l’art de l’héraldique, la science des blasons, la peinture des boucliers. Sans compter les chapiteaux des colonnes où on trouve des singes, des animaux, des hommes dans de curieuses positions, et les poutres des maisons des riches bourgeois qui étaient parfois peintes. On peut même ajouter certaines armures… Bref, l’œuvre d’art à l’époque médiévale est très diverse et relativement différente de la conception que nous en avons.  En ce qui concerne l’oeuvre littéraire médiévale, l’oeuvre de Chrétien de Troyes est incontournable. Mais on peut aussi penser à la Chanson de Rolland ou aux poèmes de François Villon.

10. Pour finir peux-tu nous donner une ou deux insultes datant de cette période ? 

On a la fameuse « gourgandine », l’approximatif équivalent de la femme de petite vertu, et le houlier, personnage de bas-étage fréquentant les bordels, ou encore, un peu moins provocant, truandaille, c’est-à-dire membre d’un groupe de truands, de voleurs, de brigands et de mécréants. 

Pour aller plus loin

Par Oïana Caretti pour Héritages

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