« te souviens-tu que sur les pyramides/Chacun de nous osa graver son nom ?/Malgré les vents, malgré la terre et l’onde/On vit flotter, après l’avoir vaincu/Nos étendards sur le berceau du monde/ Dis moi, soldat, dis-moi t’en souviens tu ? » chante Emile Debraux dans son chant « te souviens tu ?», deux ans après la fin de l’Empire et dix-neuf ans après la campagne d’Égypte (1798-1779). Aujourd’hui elle fait rêver les passionnés de l’Égypte antique). Mais pourquoi Napoléon a-t-il mené cette fameuse campagne ? Quels ont été les résultats ? Pourquoi la considère t-on comme glorieuse ? Pour le savoir, dans un premier temps nous aborderons les sources puis le déroulé de celle-ci
« Après Lodi, je me regardai comme un homme appelé à influencer sur le sort d’un peuple» Bonaparte
L’expédition égyptienne est la conséquence de plusieurs faits complexes, qui laissent toujours part aux débats entre historiens. En effet, Napoléon, élu à l’Institut est auréolé de gloire et pensent déjà à prendre le pouvoir En parallèle, le Directoire , fragilisé par plusieurs scandales, a besoin de se légitimer par des victoires militaires auprès de l’opinion publique. Aussi Talleyrand, ministre des Relations Extérieurs propose un plan aussi audacieux que risqué : suivre les projets de Choiseul pour faire de l’Égypte une colonie française permettant de relier l’Inde à la métropole, plus proche que celles des Antilles tout en affaiblissant le Royaume-Uni puisque les Britanniques font transiter leur commerce issus des Indes par cette route. Enfin, en Égypte, la situation politique est chaotique.
La stratégie semble parfaite, les objectifs nobles. Le Directoire accepte le 15 mai 1798 que 35 hommes embarquent vers une destination tenue secrète jusqu’à l’arrivée en haute mer : la terre des Pharaons. Pourtant, cet empressement et cette confiance cachent un cruel manque de moyen pour conquérir une zone géographique organisée autour d’un Empire puissant : l’Empire Ottoman, secondé par la Royal Navy anglaise, et par différents peuples du désert, farouchement opposés aux occidentaux, perçus comme des infidèles. Dans cette conquête, l’armée française présente seulement : « 35 hommes, dont 28 fantassins, 2810 cavaliers, 3245 artilleurs, 1500 administratifs , 167 savants, avec 4000 chevaux, 171 canons, 750 caissons, 200 tonnes de poudre, 100 000 boulets, 8 millions de cartouches, 320 milles pierres de fusils et 50 tonnes de plombs pour les balles, soit la plus grande opération amphibie de l’Histoire de l’Armée française » pour citer J-M Marill dans Histoire des Guerres révolutionnaires et impériales, 1789-1815. De plus, le corps expéditionnaire ne possède ni service de santé adapté aux conditions du Proche-Orient, ni d’équipement adéquat, sans compter qu’aucune logistique n’a été établi.
« Pour détruire véritablement l’Angleterre, il faudrait nous emparer de l’Égypte » disait Napoléon (cité par P. Gueniffey, Bonaparte 1769-1802)
Le 9 juin 1798, l’armée française débarque à Malte, tenue par les chevaliers de l’Ordre de Malte, qui se rendit sur le champ, ayant juré de ne jamais combattre la France. Cette prise mit fin aux tensions géopolitiques entre la Russie, l’Autriche et la France et permit également au général en chef de disposer d’une base arrière fortifiée, aux ordres du général Vaubois (1748-1839). Puis, le dix-neuf juin, la flotte quitta l’île pour l’Égypte, talonnée par l’amiral Nelson qui était lui-même parti le vingt-deux juin mais qui devança les français puisqu’il arriva à Alexandrie. Craignant d’être piégé par ses ennemis, l’anglais se replia sur Chypre. Arrivés le premier juillet 1798, les français conquirent la ville suite à un assaut meurtrier témoignant des faiblesses des troupes ottomanes. Quelques jours plus tard, l’ordre fut donné de marcher vers le Caire en passant par le désert occidental, marche qui devient rapidement un enfer pour des hommes équipés de vêtements en laine et, surchargés et devant subir les attaques des Bédouins. La jonction entre les forces navales et terrestres à Ramanich mit fin à ce calvaire le dix juillet, s’en suivirent quelques combats sans grande importance à Shubrakit (ou Chébreiss).
« Soldats, songez que du haut de ces pyramides, 40 siècles vous contemplent », Bonaparte, le 21 juillet 1798
Puis le vingt juillet, les français se heurtèrent au gros des troupes de Mourad Bey (1750-1801), l’un des deux commandants égyptiens, rassemblés à Gizeh. La bataille qui eut lieu le lendemain paraissait défavorable aux envahisseurs, 300 djermes, 10 000 cavaliers mamelouks, dont un millier en réserve, accompagné par 24 000 fantassins qui se tenaient prêt à charger les lignes ennemis, alors que les français ne luttaient qu’avec 23 000 hommes répartis en quatre divisions. Pourtant, le général en chef renversa la situation grâce à des stratégies des carrés « à la russe », c’est-à -dire avec de l’artilleur aux angles, la cavalerie fut, quant à elle, employée comme fusilier-marin pour renforcer la flottille. Les égyptiens utilisaient des méthodes guerrières qui n’avait pas changé depuis le Moyen-Age: les troupes chargeaient sans aucune symbiose . Ce fut un massacre, car, empanachés et utilisant des armes archaïques pour certains, les chevaux se heurtaient à un mur de baronnettes étaient maintenus à distance des rangs pendant que les hommes disposés à partir du deuxième leur opposaient un feu continu. Quand à l’infanterie égyptienne retranchée dans le village d’Embabeh, elle fut attaquée dans un premier temps par les divisions Duga et Reynier. Cet assaut bref et victorieux sonna l’hallalie des mameluks, dont 3000 s’enfuirent soit dans le désert soit vers le Nil, abandonnant leurs flottes. Le bilan humain est de 1500 pertes égyptiennes dont 600 morts au champ d’honneur ; les troupes françaises eurent à déplorer 29 morts et environ 300 blessés. Cette victoire ouvrit la route vers le Caire dans laquelle entra Bonaparte le 23 juillet, donnant très vite comme consigne de respecter les us et coutumes des habitants afin de se faire accepter et de ranger les égyptiens aux « Lumières de la République ». Mais en vain, car ils furent assimilés aux « Francs » des Croisades. Ceux-ci se révoltèrent donc violemment le vingt-un octobre, assassinant le gouverneur Dupuy, tentative ratée de choisir l’envahisseur. Napoléon fit tirer au canon jusqu’à ce que le calme revint. En parallèle, Desaix pacifiait la Haute- Égypte en combattant Mourad Bey et le reste de son armée tout en escortant les scientifiques.
« J’ai souffert, mais j’ai souffert avec l’armée »Murat
Comprenant que l’Égypte risque d’être attaquée par la Syrie, Napoléon décide d’envahir la Syrie pour remonter vers la Turquie actuelle, afin de bloquer les anglais et d’en finir avec l’Empire Ottoman. A l’aide de seulement 14 000 hommes et quelques grands officiers dont Murat, Lannes et Kléber notamment, ils partirent en février 1799 dans le Sinaï. La campagne débuta bien puisque le 25 du même mois ils arrivèrent à Gaza et conquirent Jaffa le 3 mars, point noir de la campagne d’Égypte à cause du massacre de 2500 prisonniers trucs pour des motifs obscurs, dont la cause officielle fut l‘incapacité de les garder prisonniers, faute d’hommes et de vivres. De plus, une épidémie de peste se déclara dans la ville tuant par centaine des soldats déjà affaiblis. Bonaparte, afin de rassurer ses hommes se rendit dans un des hôpitaux le 11 mars, au-milieu des pestiférés, scène immortalisée par Gros. La campagne reprit le 17 mais avec la chute d’Haïfa et deux jours plus tard débuta le siège de St-Jean d’Acre. Malheureusement, n’ayant d’artillerie de siège et de boulets, les français furent contraints d’envoyer les cavaliers de Murat ramasser les boulets sur la plage entre les balles afin d’alimenter les batteries de Phélippeaux. Malgré cela, les défenseurs tinrent bon grâce à la Royal Navy et aux soutiens de conseillers anglais. Dans le même temps, Kléber partit combattre en Galilée où il réussit, avec les renforts du général en chef, à battre les armées ottomanes de secours de M. Bey. Cependant, le siège de l’actuelle Acre dut être levé pour conter la deuxième armée turque, débarquée à Aboukir. L’armée traversa ainsi le Sinaï à marche forcée, Bonaparte ayant donné l’ordre d’euthanasier les pestiférés et blessés graves avec de l’opium. Le rythme infernal dans le désert prit fin le quatorze juin lorsqu’ils arrivèrent dans la capitale égyptienne, pour livrer la dernière bataille du futur empereur en terre africaine.
« Général, vous êtes grand comme le monde, mais le monde n’est pas assez grand pour vous ! » Kléber s’adressant à Bonaparte suite à sa victoire. Mustafa Pacha débarqua avec ses janissaires qui occupèrent le fort et s’apprêtaient à marcher sur Alexandrie pour isoler les français soient 10 000 fantassins et 1 000 cavaliers alors que les turcs 18 000. Mais une nouvelle fois le succès est immense : 7000 morts coté turc,leur pacha est prisonnier et surtout l’Égypte, pacifiée pour plusieurs mois, peut laisser repartir Bonaparte vers la métropole.
Pour conclure :
En France, cependant, la situation politique instable accentuée par la Seconde Coalition, menée par l’Autriche, qui avec 300 000 hommes mobilisés menaçait la République. Profitant de cette situation catastrophique, il rentra en France, débarquant à Fréjus le 9 octobre 1799, en secret, laissant à Kléber la responsabilité d’être général en chef. Par ailleurs, la France, qui ruina 300 ans de diplomatie avec l’Empire Ottoman, ouvrit néanmoins la voie à la colonisation de cette partie du Proche-Orient, qui durera jusque dans les années 1950 et perdure encore aujourd’hui via le regard attentif que porte l’Occident sur cette partie du monde. En outre, les artistes, poussés par l’orientalisme née de cette expédition y puiseront une grande partie de leur inspiration. Ainsi, cette campagne, qui n’est décidément pas un échec malgré les pertes humaines (l’une des plus meurtrières puisque 13 généraux y laissèrent la vie) (1) et les débâcles militaires, dut notamment aux faibles moyens engagés pour des objectifs bien trop grands, fut une épopée précieuse à Bonaparte pour sa légende naissante …
(1°)-Piegard Alain, Les Généraux morts au champ d’honneur de 1792 à 1815, edition Soteca, page 162
Sources :
- Tulard, Jean, Napoléon chef de guerre, texto, 2017, pages 175, 176https://www.tallandier.com/livre/napoleon-chef-de-guerre
- Gueniffey Patrice, Bonaparte 1769-1802Â ; histoire folio Gallimard, 2016, pages 400 Ã 554
- Lentz Thierry, Napoléon en 100 questions, Texto, Tallandier, 2017, pages 34-38
- Marill JM : histoires des guerres Révolutionnaires et impériales 1789-1815, nouveau monde, 2019, pages 195-209
- Pigeard Alain, Les Généraux morts au champ d’honneur de 1792 à 1815, edition Soteca, pages 162 à 164
- Le Figaro hors série numéro 125  : Napoléon, l’épopée, le mythe, le procès p 26, P 50 à 54 (articles de Jean Tulard), 2021
Pour aller plus loin :
Par Lucas Bertrand