En mentionnant les dévastations en milieu rural entre le XIVe et le XVIe siècle, Guy Fourquin écrit : « On pense immédiatement à la France, meurtrie à la fois par la guerre de Cent ans et par les querelles intestines » (1). Mais en réalité, même si la reprise démographique en Europe ne débute qu’à partir de la fin de la guerre de Cent ans, ce sont bien les épidémies et les famines qui causèrent les plus grands maux des contemporains.
En effet, le bilan de la guerre entre la France et l’Angleterre ne fut en 116 ans (entre 1337 et 1453), que de quelques dizaines de milliers de morts, tout camp confondu, alors que les épidémies et les famines ont entraîné la mort de plusieurs centaines de milliers d’individus en Europe. La Peste Noire, à elle seule, causa la mort de plus de vingt millions d’européens. Ce choc conduit alors à un changement social et administratif des puissances sur le territoire français. En quoi la guerre de Cent ans entraîna une nouvelle structuration de la seigneurie française mais surtout une recentralisation de l’État monarchique ? Nous verrons d’abord comment la seigneurie nobiliaire s’est peu à peu ouverte à la nouvelle bourgeoisie des cités, puis comment le pouvoir royal s’est retrouvé renforcé après la fin de cette guerre.
De la seigneurie nobiliaire à la seigneurie bourgeoise
Si la guerre n’eut que très peu d’impact sur les civils et les militaires, la noblesse, elle, fut très touchée par la mort de nombreux de ses chevaliers. En 1415, lors de la bataille d’Azincourt dans le Nord de la France, près de 5 000 chevaliers français perdirent la vie alors que l’affrontement ne causa la mort que de quelques dizaines de chevaliers anglais. C’est près de la moitié de la noblesse française qui fut saignée à blanc ! Outre les difficultés dynastiques que rencontrent certaines familles (absence de descendance, ou enfants en bas-âge), nombreuses sont les terres qui se retrouvent vacantes, sans aucune autorité pour les administrer. Si ce phénomène entraîne des regroupements de seigneuries sous la gestion d’un seul seigneur, certaines se retrouvent sans souverain. Elles retrouvent souvent des propriétaires dans la petite noblesse : les fils cadets des familles qui héritent de ces territoires sans toutefois posséder ni les fonds ni les relations pour les administrer correctement.
Alors ces seigneuries sont mises en vente en recherche de trésorerie immédiate. De ces territoires émanent parfois de riches revenus tirés des redevances seigneuriales et de la production agricole ou artisanale de quelques villages spécialisés. Ils attirent la convoitise des puissantes élites urbaines. Mais qui sont ces élites ? De grands seigneurs qui profitent de cette aubaine pour agrandir leur territoire. Ce sont surtout de riches bourgeois installés dans les grandes villes dans lesquelles ils exercent de prestigieuses magistratures ou bien de riches marchands. Ces élites sont soucieuses d’investir dans la terre en milieu rural afin de percevoir une rente régulière et d’acquérir un endroit hors de la ville pour se retirer à la campagne. Tels les rois, les seigneurs qui en ont les moyens peuvent s’adonner au nomadisme. Mais qu’en est-il du pouvoir royal après cette période de guerre sporadique ?
LA France à la fin de la guerre : vers un etat centralisé ?
S’il est admis que l’État moderne de la monarchie française apparaît sous François Ier, le renforcement du pouvoir royal débute néanmoins dès le règne de Louis XI, à partir de 1461 (2). Tacticien hors pair et prince très intelligent, le successeur de Charles VII, vainqueur de la guerre de Cent ans, se montre véritablement autoritaire envers les seigneurs ; le roi n’hésite pas à réprimer violemment les révoltes féodales par les armes. Pardonner ou bien punir, tel était le choix que devait prendre le roi face aux cabales et insurrections féodales qui contestaient la mainmise du souverain dans les affaires locales et réagissaient au renforcement du pouvoir royal. La volonté du roi était également de pacifier le pays afin de ne pas repartir dans une nouvelle guerre interne qui a épuisé la France à la fin du Moyen Âge.
Le mariage de Louis XI est d’ailleurs l’un des marqueurs de cette volonté d’unifier le territoire de France sous la même couronne. Le roi épouse en effet Charlotte de Savoie, fille du duc de Savoie, en 1451. Son successeur, son fils Charles VIII, se marie lui à Anne de Bretagne. Cette dernière, est la fille du duc de Bretagne, dont le territoire attise déjà depuis plusieurs siècles, les convoitises des souverains tantôt anglais tantôt français. Entre 1491 et 1498, la Bretagne se retrouve donc promise à la France. Cette alliance rattache définitivement la Bretagne à la France. Charles VIII devient ainsi le duc consort de Bretagne ! Mais lorsqu’il décède accidentellement à Amboise en 1498, l’unification est menacée. Le successeur et cousin de Charles VIII, Louis XII, décide d’épouser la veuve Anne afin de prétendre à son tour à la Bretagne ! Cette politique unificatrice du territoire de France permet ainsi de centraliser le pouvoir dans les mains du roi. Appuyé par son administration royale, le souverain n’est plus uniquement le seigneur des seigneurs mais il est devenu véritablement le roi de France.
La guerre de Cent ans enclencha donc des modifications sur un temps long. En effet, si le pouvoir royal se centralise à partir de Louis XI et que le territoire de la France commence à ressembler peu à peu à ce que nous connaissons aujourd’hui, le renforcement de la monarchie française n’aboutira qu’à partir du règne de François Ier. C’est à son époque que l’on commencera à parler d’un début d’absolutisme qui atteindra son apogée encore bien plus tardivement, sous le règne de Louis XIV. Il en est de même pour la restructuration de la seigneurie en France. La fin de la guerre de Cent ans marque le début d’une mutation des propriétaires ruraux. Peu à peu, les petites seigneuries rurales se retrouvent sous l’administration d’un roturier, d’un non noble. Et ce processus prit un essor bien plus conséquent à la fin du XVIe siècle, notamment dans le Nord de la France où nombreux sont les seigneurs qui, laissant un régisseur sur place, ne devinrent que de simples investisseurs.
Sources :
(1) FOURQUIN (Guy), Le paysan d’Occident au Moyen Âge, Paris, Éditions Nathan, page 151.
(2) CORNETTE (Joël), L’affirmation de l’État absolu (1492-1652), 7ème édition revue et augmentée, Paris, Hachette, 2012.
Emilien Vaille