Héritages

La Mort de Marat par Jacques-Louis David, 1793, Huile sur toile, Musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles

La lumière douce et les couleurs harmonieuses utilisées par J-L David afin de représenter la mort de Marat dénotent avec la violence et l’énergie qui animait le personnage. Marat est un fervent Montagnard mais également médecin, physicien et politicien. Il est un personnage clé de ces temps révolutionnaires qui conserva ses convictions jusqu’au dernier moment de sa vie. Nombreuses ont été ses réalisations comme la préparation d’un projet de monarchie constitutionnelle ou encore la création d’un journal indépendant « l’ami du peuple ». A propos du tableau Marat assassiné, il s’agit d’une huile sur toile réalisée par J-L. David en 1793 et actuellement exposée au Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique. Il existe également 4 copies non similaires exposées à Versailles, au Musée du Louvre, à Reims et à Dijon. Le tableau représente un homme dans une baignoire recouverte par un tissu tenant dans sa main une lettre. Une sorte de guéridon se trouve à proximité et selon les différentes copies, les inscriptions dessus ne sont pas les mêmes. L’homme semble être blessé ou mourant de par le sang présent en quantité dans la baignoire.

Contexte historique & procès de Charlotte Corday

© RMN / Réunion des Musées Nationaux

Dès le 10 août 1792, la famille royale est enfermée à la prison du Temple. Deux guerres d’envergure perturbe la France : une guerre menée par les monarchies européennes qui font front contre la France et une guerre civile sur le territoire français (Vendée …). De concert, un dualisme politique divise le pays : les Montagnards et les Girondins ont des convictions plus opposées que jamais. C’est pour des convictions politiques que Charlotte Corday décide de venir à Paris dans le seul et unique but d’assassiner Marat. En effet Charlotte Corday est pensionnaire à l’abbaye aux Dames à Caen ou elle reçoit une éducation correcte et qui la pousse à la réflexion. Elle est contrainte de quitter l’abbaye lorsque la Constitution civile du clergé abolit les ordres religieux le 12 juillet 1790. Charlotte Corday va alors prendre part aux réunions politiques de plus une plus souvent et se laisse convaincre par les idées girondines. Pour elle, les massacres de septembre 1792 (série de massacres sommaires à Paris et dans le reste du pays causant la mort de près de 1500 personnes) sont insoutenables et elle souhaite s’en prendre personnellement à celui qui n’hésite pas à appeler, par le biais de son journal « l’ami du peuple » à opérer une grande purge dans les prisons, qui sont pleines suites aux nombreuses arrestations (bien souvent politiques). Marat est donc un personnage fortement impliqué dans ces mouvements révolutionnaires et qui diffuse ses idées au plus grand nombre par le biais de son journal, une véritable arme politique. Quelques citations de Marat peuvent permettre de bien cerner ce montagnard convaincu …

Charlotte Corday a été traduite en justice afin de répondre des actes commis. Selon les faits rapportés, entre le 9 et le 11 juillet 1793, elle arrive à Paris et s’installe dans un hotel rue des Vieux-Augustins. Le 13 juillet, elle achète un couteau de cuisine et se rend au 30 rue des Cordeliers, lieu de résidence de Marat. Son appartement s’apparente à une forteresse qu’il est difficile de pénétrer, tant les proches de Marat sont méfiants. Au bout de la troisième tentative, elle réussit à pénétrer dans l’appartement, prétextant qu’elle avait une nouvelle de la plus haute importance à communiquer au propriétaire des lieux, venant tout droit de Caen. Il la reçoit depuis son bain qui lui permet de soigner ses problèmes de peau (eczéma). Une discussion débute, puis elle le poignarde. Charlotte Corday est arrêtée sans esclandre, elle avoue spontanément et est conduite à la prison de l’Abbaye. Le procès s’ouvre le 17 juillet 1793 à 8h. Charlotte Corday est alors accusée « d’avoir méchamment et de dessein prémédité, étant à Caen, formé le projet d’attenter à la représentation nationale, en assassinant Marat, député à la Convention (…) ce qui est contraire à l’article 4 section trois du Titre premier et à l’article 11 section première du Titre second du Code pénal« .

Article 4 (section 3, titre 1, IIème partie) : Toute conspiration ou attentat, pour empêcher la réunion, ou opérer la dissolution du corps législatif, ou pour empêcher par force et violence la liberté de ses délibérations, tout attentat contre la liberté individuelle d’un de ses membres, seront punis de mort. Tous ceux qui auront participé auxdites conspirations ou attentats par les ordres qu’ils auront donné ou exécuté, subiront la peine portée au présent article.

Article 11 (section 1, titre 2, IIème partie) : L’homicide commis avec préméditation sera qualifié d’assassinat et puni de mort.

A l’occasion des auditions qui se sont déroulées à la suite de son acte, les témoins ne manquent pas : la cuisinière, le maitre d’hotel ou encore la concubine de Marat. La Girondine reconnaît les faits et explique qu’elle n’est venue « que pour tuer Marat » lui reprochant « la désolation de la France [et] la guerre civile qu’il a allumé dans tout le royaume« . Elle nomme Marat « bête féroce » et soutient que « Marat avait un masque sur la figure« . Charlotte Corday est reconnue coupable et condamnée à la peine de mort. Elle est guillotinée le 17 juillet 1793, dans les minutes suivant son procès.

Analyse du tableau

Étude de Jacques-Louis David : visage de Marat d’après son masque mortuaire musée national du château de Versailles.

L’objectif politique du tableau est perceptible dès le premier regard que l’on peut jeter au tableau. En effet, le vide et le format portrait de l’oeuvre oblige le spectateur à se concentrer sur le seul et unique élément du tableau : Marat. Le format portrait confère de la gravité et de l’importance à la scène et le fond neutre aide également. En ce qui concerne les couleurs, le corps de Marat est pâle et légèrement jaunis, lui donnant l’aspect d’un saint, d’un martyr. Les couleurs sont plus ou moins vives selon les copies et l’intensité de la lumière apportée par le peintre. Pour ce qui est de la position du corps, cela rappelle d’ailleurs la position adoptée par de nombreux autres martyrs ou même de Jésus-Christ lors de la scène de la Mise au tombeau ci-dessous. La musculature est développé, comme s’il s’agissait d’un corps d’athlète, chaque muscle étant minutieusement défini. Les détails des traits du visage sont très précis et de nombreuses études préparatoires ont été réalisé en amont par David pour atteindre une telle précision.

Concernant les différents éléments présents dans la scène, nous apercevons le sang à trois reprises, sur trois parties différentes à savoir : sur la poitrine du mort, dans la baignoire et sur le drap. L’on peut y percevoir une certaine insistance de l’artiste sur ce point. De plus, le drap vert présent contraste particulièrement avec le rouge du sang, étant des teintes opposées sur le cercle chromatique. A propos de la lettre, nous percevons clairement qu’elle est tournée vers le spectateur et non vers les yeux du personnage, s’agissant d’une mise en scène. Cette lettre aurait été écrite de la main de Charlotte Corday et la phrase inscrite traduirait bien de ce que pense Charlotte Corday de Marat.

La magie de ce tableau réside principalement dans sa composition. En effet, les yeux du spectateur sont guidés par le peintre grâce à une ligne diagonale matérialisée par la lumière. Cette lumière arrive par le biais d’une fenêtre, parcourt le corps de Marat puis termine sa course sur la lettre écrite par Charlotte Corday.

Marat est donc bien érigé en martyr de la Révolution Française. David utilisera des éléments graphiques tels que la position du corps, le trajet de la lumière sur l’oeuvre ou encore le jeu de contrastes des couleurs pour arriver à lui rendre cet hommage commandé par Guirault, porte-parole de la section du Contrat social. En plus du tableau, David fut également chargé d’organiser la mise en scène des funérailles de Marat «Il a été arrêté que son corps serait exposé couvert d’un drap mouillé qui représenterait la baignoire et qui, arrosé de temps en temps, empêcherait l’effet de putréfaction. Â» !

Par Colombe Cissé pour Héritages