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Quel siècle mélodieux que le XVIIIèmesiècle ! Le temps des plus grands maîtres de la musique, qui nous ont offert des chefs-d’œuvre intemporels : Bach, Haydn, et puis Mozart ! Ça swinguait à la cour dans l’Empire autrichien ! Mais qu’en était-il de la cour de Versailles ? Après Lully et Rameau, qui ont su charmer les oreilles du Roi-Soleil, qui donne le ton à la cour de Louis XVI ?

La musique à Versailles : Louis XVI insensible, mais Marie-Antoinette mélomane

            Contrairement à leur prédécesseur le Roi-Soleil, Louis XV et Louis XVI ne sont pas de grands amateurs de musique. Heureusement, le désintérêt de ces rois pour l’art musical n’empêche pas celui-ci de rayonner à Versailles, et ce grâce au goût raffiné de leurs épouses et favorites dans ce domaine. Jamais la vie musicale n’aura été si riche à Versailles que sous Marie-Antoinette : cette dernière, dénuée de toute ambition sur le plan politique, se révèle néanmoins d’une importance capitale pour le rayonnement culturel de la cour de France entre 1774 et 1792 – années du règne de Louis XVI.

            La Reine, grâce à l’éducation musicale très poussée qu’elle a reçue en Autriche dans son enfance, s’impose comme une excellente musicienne : elle pratique assidûment le clavecin et la harpe. Le goût pour la harpe se développe tout au long du XVIIIèmesiècle, à tel point que cet instrument domine la scène musicale durant la seconde moitié du siècle. Cet instrument, doux et lyrique, s’adapte en effet parfaitement à un genre musical très en vogue dans le royaume, particulièrement à la cour, et auquel Marie-Antoinette s’initie, à savoir la romance. Il s’agit d’une mélodie simple composée sur des textes à la sentimentalité exacerbée. On en attribue une à la Reine, intitulée « Ah s’il est dans mon village Â». Elle aime tant la musique qu’elle fait construire dans le parc du Petit Trianon un petit théâtre pour jouer et chanter avec ses dames de compagnie, ainsi que pour y organiser des concerts privés tous les lundis. La délectation musicale se fait ainsi dans un certain cadre intimiste, loin des grands concerts parisiens. 

Pourtant, Marie-Antoinette est soucieuse de renouveler le répertoire de la cour : elle ne cherche pas à rejouer les grands compositeurs du début du siècle comme Lully et Rameau, mais elle s’impose comme protectrice des arts et comme mécène importante en invitant des compositeurs modernes. Elle fait venir notamment Gluck, compositeur autrichien qui fut son professeur de musique à Vienne, mais également des compositeurs italiens comme Piccinni et Sacchini, ou encore français avec Grétry. Ainsi, la Reine organise des fêtes coûteuses et de somptueux spectacles influencés par les découvertes parisiennes qu’elle fait, car en effet Marie-Antoinette est férue de petites virées nocturnes à Paname pour aller une fois à l’Opéra, une autre à la Comédie Française ou encore à la Comédie Italienne. Il faut bien prendre en compte qu’à l’époque, ce n’est pas une mince affaire d’aller à Paris : pas de RER C pour relier Versailles Château – Rive Gauche à Saint Michel – Notre Dame ! Le trajet en carrosse met au moins trois bonnes heures et n’est pas de toute sécurité, c’est pourquoi les virées parisiennes de la Reine vont lui être reprochées par de nombreux courtisans. Néanmoins, le renouveau apporté à la cour depuis les institutions parisiennes, par le biais de Marie-Antoinette, permet à la cour de ne pas trop être « has-been Â» en terme de goûts musicaux. La Reine relance également certaines pratiques musicales qui s’étaient perdues depuis Louis XIV, notamment l’usage de la musique lors des Soupers au Grand Couvert. Alors que la plus belle vaisselle de la couronne est déployée sous les yeux émerveillés des courtisans, des musiciens placés dans les tribunes charment leurs oreilles au son des violes de gambe, des violons et des flûtes traversières.

Un grand compositeur de l’époque : Gluck

Ce compositeur bavarois s’impose comme l’une des plus grandes figures de la période classique, aux côtés de Haydn et de Mozart. Il se fait rapidement remarquer à Vienne par l’impératrice Marie-Thérèse, qui le fait chef de son orchestre privé puis lui donne le rôle honorifique de maître de chapelle. Il est également le favori de la reine de Marie-Antoinette qui l’appelle à Versailles dès 1774, année du sacre de Louis XVI. Jusqu’en 1779, ce sont sept ouvrages qu’il produit sur la scène de l’Opéra Royal. Son Iphigénie en Aulide, la première année, remporte un immense succès : on rapporte même qu’à la fin du spectacle, la Reine, transportée par son enthousiasme, aurait applaudit de tout son cÅ“ur (ce qui est contraire à l’étiquette du XVIIIèmesiècle), faisant de Gluck une vedette. Puis Orphée et Eurydiceest produit, qui est une version française de son Orfeo, largement remaniée ; et enfin il remporte un franc succès avec la version française d’Alcesteen 1776. Pourtant, le dernier opéra français qu’il compose, Echo et Narcisse, se solde par un échec en 1779, et il décide alors de quitter la cour pour retourner à Vienne.

Pour écouter un extrait d’Orphée et Eurydice, « L’air d’Orphée Â», cliquer sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=1ivsM00Ae3Q

Gluck à Trianon, par Edouard Hamman (gravure de A. Cornillet) © Gallica-BnF

Gluck se distingue par la réforme musicale qu’il engage dans ses Å“uvres : il prône de simplifier l’œuvre musicale au profit de la clarté dramatique, par opposition notamment à la tragédie lyrique héritée de Lully. Le sens de la dramaturgie doit primer, il faut bannir les ornements et emphases formelles pour rechercher une simplicité musicale qui évoque avec puissance la tragédie qui se joue. Ce souci de réforme s’inscrit dans la continuité d’un épisode majeur dans l’histoire de la musique qui éclate en 1752 : la querelle des Bouffons. Cette controverse oppose les partisans de la musique française, représentés par Jean-Philippe Rameau, aux partisans d’une ouverture aux influences étrangères et notamment italiennes, regroupés derrière Jean-Jacques Rousseau (car en effet les philosophes des Lumières ont joué un rôle important dans les débats musicaux de l’époque, en prenant parti dans leurs écrits). Comme Rousseau, Gluck abonde dans le sens d’une réforme, mais il va plus loin que le philosophe en voulant démontrer que la langue française se prête à l’écriture musicale : comme dans les tragédies de Racine, il faut retrouver l’essence de la grandeur tragique par la simplicité et la continuité de l’action dramatique. Et la réussite d’Iphigénie, qui fonctionne comme une sorte de manifeste, vient consacrer cette nouvelle approche de la musique, qui en réalité s’inscrit dans le courant nouveau du classicisme.

La venue à Paris de Piccinni, à la demande de la reine, suscite une nouvelle controverse entre d’une part les Gluckistes, tenants de la réforme proposée par le compositeur qui entend donner un nouveau souffle au grand genre de l’opéra, et les Piccinistes, tenants de la musique italienne qui acceptent mal cette francisation de l’opéra italien. Cette querelle prend fin avec la victoire des Gluckistes, aux vues de l’immense succès que remporte l’opéra Iphigénie en Tauride en 1779. La courte période d’activité de Gluck à Paris exemplifie le climat agité de l’époque dans le domaine musical : la seconde moitié du XVIIIèmesiècle voit les controverses se multiplier, entre d’une part ceux qui s’accrochent à la musique baroque, et d’autre part les modernes qui s’ouvrent au classicisme. 

Piccinni par Hippolyte Pauquet (1797–1871)

Versailles détrôné par Paris

            Si l’on schématise le Siècle des Lumières en terme de mouvements – qui, ne l’oublions pas, restent simplement des constructions historiques tandis que la réalité est bien plus complexe – la première moitié du siècle marque l’apogée de la musique baroquetandis que la deuxième moitié représente le triomphe du classicisme. En réalité, bien que Marie-Antoinette s’évertuât à moderniser la musique au château, le style de Versailles devient de plus en plus vieilli dès les années 1770, tandis que Paris, se dotant d’institutions modernes, voit passer les plus grands artistes de l’époque. Un exemple qui illustre cette tendance : le Roi offre au jeune Mozart, alors âgé de 22 ans, le poste très prestigieux d’organiste de la chapelle royale, mais celui-ci refuse, affolé à l’idée de se retrouver loin de Paris, où la pointe de la mode musicale se fait.

            Paris connaît un rayonnement de plus en plus important sous le règne de Louis XVI, et notamment en matière de musique. Créée en 1669 à la demande de Louis XIV, l’Académie royale de musique (qui devient par la suite l’Opéra de Paris) synthétise les ambitions françaises en matière de spectacle lyrique et chorégraphique, avec toute une machinerie de théâtre spectaculaire. C’est par elle que se met en place la tragédie en musique, qui domine la scène française jusqu’au tournant du XIXèmesiècle. Au XVIIIème siècle, elle se voit progressivement concurrencée par d’autres institutions comme la Comédie Française, l’Opéra-comique ou encore les théâtres forains. Peu après l’apparition de l’Académie de musique, en 1725, l’établissement du Concert Spirituel permet aux Parisiens de profiter de concerts publics d’une qualité sans égal en Europe, avec une vingtaine de séances musicales par an. Les plus grands musiciens et des interprètes de très grande qualité s’y produisent. Vers 1780, le Concert Spirituel acquiert une physionomie très proche du futur orchestre romantique (utilisé par exemple pour les symphonies de Beethoven au début du XIXèmesiècle). Ainsi Paris retrouve une place dominante tandis que, musicalement, Versailles s’étiole un peu avant la Révolution. 

            Toutefois, de manière générale, la musique française est quelque peu en décalage par rapport à la révolution musicale qui agite le reste de l’Europe, notamment en Allemagne et en Autriche, même si Paris est au diapason de ce qui se fait de plus moderne en invitant ces compositeurs à se produire sur les planches parisiennes. De nouveaux genres musicaux apparaissent, venant supplanter les motets (chants religieux polyphoniques) qui prévalaient jusqu’alors :

  • le concerto (composition musicale pour un ou plusieurs instruments solistes et orchestre, généralement en trois mouvements) : il existait depuis la Renaissance sous la forme du concerto grossomais celui-ci tombe en désuétude pour laisser place au concerto de soliste.
  • la symphonie (sorte de sonate adaptée à l’orchestre) fait sa grande apparition au milieu du XVIIIèmesiècle sous la forme classique qu’on lui connaît, c’est-à-dire en quatre mouvements qui se structurent de la manière suivante : allegro(rapide), andante(lent), scherzoallegro. La symphonie trouve son apogée au début du siècle suivant, embellie par le génie de Beethoven.

            En somme, si la musique à la cour de Louis XIV était à la pointe de la mode, celle à la cour de Louis XVI est un peu moins dans l’air du temps. Car, si une révolution politique se profile dans la seconde moitié du siècle pour éclater en 1789, celle-ci est précédée d’une véritable révolution musicale, peut-être moins connue mais non moins importante !

Par Isaure de Montbron pour Héritages