L’expression « siècle des Lumières » a souvent été utilisée afin de parler du XVIIIème siècle. Ouvert par la mort de Louis XIV en 1715 et fermé par l’avènement d’un empereur en passant par la plus grande révolution connue en France, il est le siècle de tous les changements et de toutes les nouveautés. Le nom de siècle des « Lumières » tend à désigner l’ambition des philosophes et savants de l’époque d’éclairer un monde resté jusqu’alors dans l’ignorance et l’injustice. Le premier combat des Lumières est un combat politique et social. En effet, la monarchie se voit fragilisée au XVIIIème siècle de par les excès des « grands » du royaume ainsi que par les inégalités frappantes et devenues injustes pour nombre de français. La monarchie de droit divin est de plus en plus contestée et de nombreux esprits souhaiteraient voir un système démocratique se mettre en place en France. Le second combat des Lumières est celui de la connaissance. Il est communément admis que les hommes sont libres lorsqu’ils sont instruits. De grands philosophes se voient alors comme investis d’une mission d’enseignement envers leurs semblables. De nombreuses gravures ont été faites afin de représenter allégoriquement ce « siècle des Lumières ». Il est possible d’observer sur ces dernières une vraie représentation métaphorique des Lumières, venant éclairer par les sciences et les savoirs la France et son peuple. Sans plus attendre, plongeons-nous dans la découverte de quatre de ces hommes éclairés…
Beaumarchais dramaturge annonciateur de la révolution
Un homme de cour, de procès et de secrets
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais est né en 1732 à Paris dans une famille d’horlogers, première profession à laquelle il se destine. Mais très vite rattrapé par son esprit bouillonnant et sa soif pour la connaissance et l’art, il change de voie. D’abord musicien et professeur de musique auprès de la famille royale, Beaumarchais se fait ensuite spéculateur. Il achète et revend de nombreuses charges, il se remarie également avec la veuve Lévêque qui laisse derrière elle un grand héritage. La jalousie arrive vite et Beaumarchais fait poursuivre devant le parlement ses détracteurs, mais ce derniers complètement impuissant ne peut rien ou presque pour lui. Il finit par gagner son procès et laisse derrière lui ses Mémoires rédigées pour convaincre l’opinion publique de l’incohérence des institutions françaises et de la monarchie. Beaumarchais perd cependant toute sa fortune dans ses procès.
Le Saviez-vous ? Beaumarchais pour se racheter de ses déboires financiers suite à la perte de ses procès, sera engagé comme espion en Angleterre. Il sera emprisonné à l’étranger mais revenu en France, de nouvelles aventures l’attendront. Beaumarchais, en liaison avec Vergennes participera à la livraison de munitions aux insurgés américains, deux des navires chargés parviendront sur l’autre continent.
Portrait de Beaumarchais Bataille navale dans l’Océan Atlantique
Un dramaturge pas si révolutionnaire que ça
La carrière et la vie de Beaumarchais basculent lorsque ce dernier se met à écrire des comédies. Ce dernier va publier deux pièces qui feront sa renommée: Le Barbier de Séville d’abord en 1775 et Le Mariage de Figaro en 1784. Ces deux pièces, véritables chefs d’œuvre remettent notamment en cause la monarchie mais également les privilèges de la noblesse, thèmes courants des Lumières. Le roi Louis XVI lit lui-même le manuscrit du Mariage de Figaro et interdit les représentations de cette pièce en prononçant cette phrase : « Cet homme se joue de tout ce qu’il faut respecter dans un gouvernement ». Ce n’est que 4 ans plus tard que cette dernière sera jouée sur les planches.
» Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter… »
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (V, 3), 1784
Il est souvent dit des pièces de Beaumarchais qu’elles ont annoncé la révolution mais ce dernier n’est cependant pas un révolutionnaire actif. Il est membre provisoire de la Commune de Paris mais toujours en recherche de nouvelles affaires lucratives, il prend part à l’affaire dite des « fusils de Hollande ». Aristocrate, il comparaît devant le tribunal révolutionnaire sous la terreur et n’échappera que de justesse à la mort. Il s’exile et se tient caché quelques temps.
Gendron dans son Dictionnaire de la Révolution, dit de lui que « loin d’être une tête politique, Beaumarchais est un privilégié de son temps. Plutôt que l’Ancien Régime, il dénonce les obstacles qui l’ont personnellement gêné dans sa vie d’arriviste : l’autorité, la justice, la censure, la corruption des mÅ“urs. Il y a donc loin de Beaumarchais à un agitateur populaire et la Révolution le lui fit bien voir : il s’y retrouva ruiné, suspect et émigré. En définitive, la fronde de Figaro, l’alter-ego de Beaumarchais, est celle de l’homme d’esprit contre les pouvoirs« . Ainsi, si Beaumarchais n’est pas le plus engagé des révolutionnaires, il est évident et établi que ses pièces ont eu un impact sur les esprits des Lumières. A travers, le personnage de Figaro, Beaumarchais bouscule les idées d’ancien régime et Napoléon dit de sa pièce : « Le Mariage de Figaro, c’est déjà la révolution en action « .
Le Barbier de Séville Personnage du barbier de Séville Représentation des Noces de Figaro
Diderot et d’Alembert, la folle aventure de l’Encyclopédie
Deux philosophes amis
Denis Diderot est né en 1713 et est fils d’un modeste coutelier. Arrivé à Paris en 1728, il se lie d’amitié notamment avec Rousseau. Il publie de nombreuses oeuvres philosophiques mais est emprisonné à Vincennes pour avoir développé des thèses athéistes. C’est à partir de 1750 que Diderot dirige la publication de l’Encyclopédie qui lui apporte une renommée universelle. Diderot bénéficie de soutiens puissants comme celui de la marquise de Pompadour mais également celui de Catherine II de Russie qui afin de lui éviter des soucis financiers lui achète sa bibliothèque tout en lui en laissant l’accès.
Jean le Rond d’Alembert est quant à lui né en 1717, enfant illégitime, il est recueilli dans une famille de vitriers parisiens. Ayant un véritable don pour les mathématiques et les sciences, il est reçu à l’Académie des Sciences à 24 ans. Il publie d’importants traités. Suite à sa rencontre avec d’Alembert, il se consacre à l’Encyclopédie. Ses activités philosophiques passent petit à petit devant celles de mathématicien. Il est nommé à l’Académie française en 1754 et en est le secrétaire perpétuel à partir de 1772. D’Alembert est une figure « type » des Lumières, homme scientifique luttant contre l’obscurantisme religieux et prônant la propagation des sciences et des connaissances auprès de tous.
Portrait de d’Alembert Portrait de Diderot
Un projet titanesque
L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert est en réalité née d’un projet de… traduction. En effet, un libraire avait passé commande à Diderot d’une traduction de l’ouvrage anglais Cyclopoedia. C’est à partir de cette commande que Diderot élabore l’idée d’une immense encyclopédie recensant tous les savoirs de l’homme. C’est ainsi qu’est née L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. La préface de cette dernière traduit bien l’idée de transmettre les connaissances, d’éclairer le monde : « Le but d’une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre, d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont, que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain ». Oeuvre majeure du mouvement des Lumières, l’Encyclopédie a connu une histoire pour le moins mouvementée.
Planche représentant le savoir-faire du tapissier
Ainsi un premier plan est arrêté par les deux principaux protagonistes. Ces derniers s’empressènt de trouver des collaborateurs mais également des protecteurs pour ce projet à l’ampleur inhumaine. Ainsi l’accord pour imprimer est donné en 1946 et les deux premiers volumes de cette encyclopédie parurent en 1751. Le projet peut reprendre suite à un premier arrêt mais seulement pour une courte durée, avant d’être suspendu à nouveau en 1757. Le Conseil d’Etat interdit notamment la parution de certains volumes et d’Alembert se décourage et quitte l’aventure. Le projet ne reprend qu’en 1965 et uniquement avec un accord tacite. Nombres de difficultés jalonnent encore le parcours de l’Encyclopédie, mais la détermination de Diderot a raison de ces dernières. L’encyclopédie reste à ce jour le plus gros dictionnaire jamais paru et une des oeuvres de connaissances et de savoirs les plus magistrales, fruit du travail acharné des philosophes des Lumières.
Le Saviez-vous ? L’encyclopédie c’est 35 volumes, 71181 articles, plus de 150 auteurs, 25000 exemplaires vendus entre 1751 et 1782 et 1000 ouvriers travaillant sur le projet pendant près de 25 ans !
Voltaire et l’affaire Calas
Un très célèbre érudit
De tous les philosophes des Lumières, Voltaire est sans doute le plus connu, de par la diversité de ses oeuvres, par son exil remarqué en Suisse mais également par ses liens avec de nombreux princes européens, on parle en effet de lui comme « l’hôte de l’Europe ». Né en 1694 d’un père notaire et conseiller du roi, Voltaire reçoit une éducation de qualité et étudie chez les jésuites au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il est très vite considéré comme l’un des meilleurs élèves et reçoit de nombreux prix. Très vite, il fréquente les milieux littéraires de Paris et rédige notamment ses premiers écrits satiriques qui le font connaître et qui lui valent surtout… quelques séjours à la Bastille. Il voyage en Europe et triomphe notamment avec sa pièce Zaïre. Il s’exile alors une première fois chez Mme Duchatelet à Cirey.
Portrait de Voltaire Lycée Louis le Grand
Il est rappelé à Paris pour un poste d’historiographe du roi en 1750 et c’est à ce moment qu’il commence à rédiger ses fameux contes philosophiques dont les plus connus Zadig et Micromégas respectivement en 1748 et 1752. Cependant il ne résiste pas à l’appel de Frédéric II de Prusse et quitte la France pour se rendre à Postdam. La relation entre Frédéric II de Prusse et Voltaire s’avère complexe mais Voltaire obtient le droit de rentrer en France en 1753. C’est uniquement en 1758 que Voltaire achète son château de Ferney où il s’installe pour le restant de sa vie. Sa production littéraire est immense dans ce château et il publie notamment Candide. Néanmoins, Voltaire n’arrive pas à obtenir le droit de rentrer sur Paris, privilège qui lui est constamment refusé par Louis XV puis par Louis XVI.
Un philosophe actif, engagé pour la justice
Voltaire pourtant anticlérical, se laisse convaincre par Pierre Calas, d’agir pour leur famille. En effet, Jean Calas, le père, est condamné à mort en 1761 pour avoir empêché son fils de se convertir au catholicisme entrainant son décès. Ce dernier s’était en fait suicidé et Jean Calas avait essayé de camoufler le suicide pour que le corps de son fils ne subissent pas les châtiments prévus pour les suicidés. Après la mort du père, Pierre Calas décide de contacter Voltaire afin d’obtenir la révision du procès. Dans l’optique de condamner les fanatismes religieux, Voltaire publie en 1763 son Traité sur la tolérance. La publication permet à l’affaire de revenir dans la lumière, la famille Calas obtient par la suite la révision du procès. Voltaire par cette affaire, est considéré comme le premier des philosophes a s’être engagé dans une affaire politique, et a avoir utilisé son influence pour permettre à la justice d’être rétablie. Voltaire meurt au sommet de sa gloire en 1778, après avoir assisté à une représentation de sa pièce Irène à la Comédie Française, à l’issue de laquelle son buste était couronné de lauriers. Il est le deuxième homme dont les cendres ont été portées au Panthéon et son épitaphe finit de le consacrer comme le prince des philosophes des Lumières : « Il combattit les athées et les fanatiques. Il inspira la tolérance, il réclama les droits de l’homme contre la servitude de la féodalité. Poète, historien, philosophe, il agrandit l’esprit humain, et lui apprit à être libre. »
Le triomphe de Voltaire
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Par Mathilde Gadeyne pour Héritages