Si de tous les temps les rois ont cherché à s’informer, violant même le secret des Postes grâce au fameux Cabinet noir, le Secret du roi est considéré comme étant le premier service de renseignements moderne en France. Cette politique du secret vient même en opposition à la politique officielle, Louis XV donnant des ordres contradictoires à ses ministres et à ses agents. Pendant près de trente ans, deux politiques cohabitent : la politique officielle passant par la voie diplomatique, et la politique officieuse obéissant aux ordres directs de Louis XV.
A l’origine du Secret
A l’origine, le Secret du Roi est créé pour assurer la couronne polonaise au prince de Conti. En effet, la guerre de succession d’Autriche ayant laissé un goût amer à la France, celle-ci souhaite s’appuyer sur la Pologne pour repousser les ambitions de la Russie. Par ailleurs, le Roi de Pologne étant gravement malade, le prince de Conti, cousin du roi de France, est envisagé pour lui succéder.
Louis XV souhaite alors que les informations récoltées pour développer un parti favorable au Prince se fasse dans le plus grand secret. Le Roi de France envoie Louis-Adrien Duperron de Castéra à Varsovie. Son rôle officiel consiste à rapporter uniquement ce qu’on lui dit sur place ; mais officieusement, le prince de Conti lui confie des instructions particulières, sous le couvert de Louis XV et à l’insu du marquis d’Argenson, afin de faire avancer les pourparlers pour ceindre la couronne polonaise.
Celle-ci a pour but de rallier la Pologne, la Suède, la Turquie et la Prusse à la France. Pour réussir, il faut recruter des Ambassadeurs, des secrétaires d’ambassadeurs, et un réseau de petites mains. Autour du Roi, une poignée d’hommes fidèles s’affirme. Une petite équipe d’une trentaine d’agents travaille en parallèle de la diplomate officielle, c’est-à -dire de celle représentée par le secrétaire d’état aux affaires étrangères. Ces agents ne rendent compte qu’au Roi, comme le raconte le comte de Broglie, devenu chef du Secret du Roi : « Sa Majesté regardoit comme nécessaire de se conserver un moyen d’être instruite par plus d’un canal des affaires politiques, comme elle disoit que Louis XIV l’avoit toujours pratiqué ».
Le courrier étant ouvert par le Cabinet noir, les missives sont cryptées.
Voici quelques exemples de codes :
- Illustration d’un code choisi autour de l’achat de fourrure :
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- si la mission est réussie, il faut écrire : « Le renard est cher »,
- si le Chancelier russe perd de l’influence : « Les martres zibelines sont en baisse ».
- Code choisi lorsque le Chevalier d’Eon part en Angleterre :Le roi est l’avocat de Broglie est le substitut
- Tercier est le procureur
Le Chevalier d’Éon
Parmi ces agents figure le célèbre Chevalier d’Eon !
Charles de Beaumont (1728-1810) est entré en 1755 au Secret du Roi. Il est envoyé la même année en mission auprès de l’Impératrice Elisabeth afin de la convaincre de demeurer alliée de la France sans exiger de modification de l’alliance séculaire existant déjà entre la France et l’Empire Ottoman.
La réussite du Chevalier est telle que le succès lui monte à la tête. Il écrit au Comte de Broglie : « La Providence me sert au-dessus de ce que je mérite ; j’ai beau fermer la porte à la fortune, elle abat les murs pour venir me trouver. Quand je dis fortune, je ne dis pas argent, car vous savez que notre ministre est plus qu’énorme ; mais j’entends, par fortune, honneur, avancement. »
La pratique du Secret n’est pas sans risques. Le comte de Broglie confie ses craintes au roi en 1759. Celui-ci pense que le Secret a été découvert. Louis XV le rassure par ses mots : “ Je ne croy point comme vous que M.le duc de Choiseul ait connaissance du secret.â€
Mais pour que le Secret perdure, il faut parfois sacrifier des carrières. Par loyauté et pour sauver les apparences, le comte de Broglie subit deux disgrâces. La deuxième n’est lavée qu’en 1775, lorsque Louis XVI examine toutes les pièces du dossier, et lui rend son honneur et l’assure de toute sa confiance.
La Fin du secret
A partir de 1770, Louis XV ne trouve plus tellement d’intérêt au Secret et celui-ci meurt en même temps que son créateur. Louis XVI, son successeur, jugeant que ces correspondances secrètes : “ne servaient à rien et même pouvaient être nuisibles au bien de (son) service.â€
Océane Guichard
Bibliographie :
Château de Versailles, Le Secret du roi et les espions de Louis XV, n°38, 2020.
Pour aller plus loin :
Un podcast : Au service de Sa Majesté, chevaliers espions, le cours de l’Hsitoire, France Culture https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-l-histoire/au-service-de-sa-majeste-chevaliers-espions
Thomas Stewart, Le Chevalier d’Eon, 1792, National Portrait Gallery
Carmontelle, M. le Comte de Broglie, 1761.