Personnage emblématique de l’histoire de France, Napoléon Bonaparte n’est pas seulement connu pour son génie militaire. De manière plus inattendue, l’empereur est également célèbre pour son goût prononcé pour le parfum, comme nous le prouvent les soixante flacons vidés par mois selon les dires de Mme de Rémusat dans ses Mémoires.Une facture datant du mois d’octobre 1808 mentionne, quant à elle, une commande impériale de pas moins de soixante-douze flacons d’Eau de Cologne !
L’attraction suscitée par les notes odorantes est loin de ne toucher que le général venu de Corse. En réalité, elle s’inscrit dans un contexte culturel et économique particulièrement propice à son développement. A la fin du siècle précédent, la Révolution française porte un coup dur pour le commerce du parfum, et pour le domaine du luxe en général, qui demeure associé à la noblesse pour les révolutionnaires. Cependant, le dynamisme du XIXe siècle change la donne : le nombre de maisons de parfum parisiennes augmente considérablement grâce aux nouvelles lois portant sur le commerce libre de ces produits. Les cent-trente-neuf parfumeries de la capitale, citées dans l’Almanach du commerce de Paris de 1807, témoignent en effet du renouvellement de cet art luxueux sous le Premier Empire. C’est donc à une époque où « la consommation de parfum [est] la plus considérable »[1]que s’inscrit l’intérêt de Napoléon pour l’Eau de Cologne. Son épouse Joséphine est elle-même très sensible à l’art olfactif : les odeurs qu’elle affectionne, et en particulier le musc, auréoleront son château de Malmaison soixante-dix ans après sa disparition !
Napoléon aime prendre soin de lui et veille à son hygiène, comme en témoigne l’Athénienne que réalise pour lui Martin-Guillaume Biennaisau début du siècle : ce meuble, qui accompagnera Napoléon jusqu’à Sainte-Hélène, contient un bassin richement décoré d’après l’Antiquité, faisant office de lavabos et de brûle-parfum.
L’empereur n’échappe donc pas non plus à l’attrait des concoctions odorantes. Depuis ses campagnes d’Italie (de 1797-1797 et 1800) où il découvre cette fameuse Eau de Cologne, le général emporte partout avec lui cette fraîche et légère odeur dont les effluves d’agrumes, provenant de l’évaporation d’alcool, conquerront l’Europe. Ainsi en applique-t-il chaque matin sur la tête et les épaules, de sorte à rester frais et éveillé tout au long de la journée.
Le maître-parfumeur Septimus Piesse nous raconte l’origine de cette Eau parfumée tant appréciée de l’empereur. D’après lui, il revient à Jean-Paul Feminis, habitant de Cologne d’origine italienne, d’avoir le premier crée cette mélodie olfactive. Certaines sources évoquent cependant Jean Marie Farina comme le véritable inventeur de l’Eau de Cologne, d’autres encore présentant cet homme comme le successeur de Feminis. Bien que le doute subsiste encore, nous savons de source sûre que Jean Marie Farina a bel et bien contribué au développement de cette Eau. Le parfumeur livre d’ailleurs à son frère, alors en Hollande pour son service militaire, les mystères poétiques de sa formule :
« J’ai créé un parfum qui me rappelle les matinées de printemps en Italie, les narcisses à fleurs rayonnantes et la fleur d’oranger après la pluie. Il me rafraîchit tout en stimulant mes sens et mon imagination ».
L’un de ses descendants quitte par la suite la belle ville de Cologne pour rejoindre la capitale française en 1806. Ainsi est fondée à Paris la Maison Jean Marie Farina au 331 rue Saint Honoré. De cette illustre maison, l’empereur reçoit un flacon d’Eau de Cologne en forme de rouleau. Un flacon d’une forme bien atypique me direz-vous. Pour rappel, Napoléon est avant tout un soldat, un général combattant sur le terrain auprès de ses hommes. Ainsi, la forme en rouleau du flacon lui permet de glisser ce dernier dans ses bottes et de l’emporter avec lui où bon lui semble. Pratique, n’est-ce pas ?
Portrait de Jean-Marie-Joseph-Farina, XVIIIe siècle, © Farina gegenüber
Eau de Cologne originale de Jean Marie Farina en rouleau, Flacon de 1811, © Farina gegenüber
Dans ses écrits, Septimus Piesse énumère les vertus de l’eau miraculeuse de Jean-Marie Farina, « aussi agréable que salutaire pour la santé » : « L’Eau de Cologne fortifie et rafraîchit la peau, lui redonne sa souplesse. Elle dissout le tartre des dents sans attaquer l’émail. Employée dans un bain, elle rend aux muscles leur élasticité et tonifie l’organisme ; calme les maux de tête ; vaporisée, elle corrige l’air vicié des appartements et les assainit ».
L’utilisation de ce parfum par l’empereur confirme que cette eau est également utilisée pour ses vertus hygiéniques et médicales. Il arrive en effet au général de boire de cette « aqua Mirabilis » et d’en déposer quelques gouttes sur un sucre – technique appelée « canard Farina », afin de soulager ses douleurs d’estomac.La légende raconte également que l’empereur, lors de la préparation de stratégies militaires dans son bureau, tient systématiquement un flacon renfermant ces notes parfumées, comme si cette eau savait susciter en lui l’inspiration et la réflexion. Par ailleurs, Napoléon ne garde pas jalousement son parfum pour lui. En effet, il aime parfumer de cette délicieuse odeur son appartement, probablement afin de corriger « l’air vicié des appartements » comme le suggère Septimus Piesse. Il lui arrive pareillement de déposer quelques gouttes du flacon sur son cheval, afin de lui faire bénéficier lui-aussi de sa fraîcheur.
L’amour de Napoléon pour l’Eau de Cologne n’a pas de frontières. Ainsi continue-t-il à en faire usage lors de son exil sur l’île de Sainte-Hélène à partir de 1815, comme l’indique Las Cases dans le Mémorial de Sainte-Hélène racontant le quotidien de l’empereur à la fin de sa vie. L’auteur nous y apprend qu’après avoir épuisé l’Eau de Cologne qui lui restait, l’empereur dût se résoudre à se parfumer à l’Eau de lavande, ce qui, d’après les mots de Las Cases, fut « pour lui une privation réelle ».
Un autre témoignage de la captivité de l’empereur à Sainte-Hélène affirme cependant qu’il demande que soit confectionnée sur l’île une Eau de Cologne afin qu’il puisse continuer à en arborer l’odeur. Ainsi le raconte Louis Étienne Saint-Denis, dit « Ali », son second Mamelouk, qui rejoint la maison de l’Empereur en 1806 jusqu’à son dernier voyage au beau milieu de l’Atlantique. En tant que valet de chambre, bibliothécaire, copiste et intendant des biens de l’empereur sur l’île, Ali côtoie Napoléon et établit l’inventaire de ses possessions. Dans ses mémoires, qui furent publiées par l’un de ses descendants, figure ainsi la recette de cette Eau de Cologne qui permit à l’empereur d’humer à nouveau ce bouquet aromatique. Fort heureusement, cette eau de toilette ne se compose que d’essences naturelles, facilitant de fait sa confection. Pour sa réalisation, Ali s’appuie sur les effluves des citrus et sur les essences du romain et des clous de girofle qu’il mélange à de l’esprit de vin.Aujourd’hui, la recette rapportée par Ali dans ses écrits nous permet de connaître l’odeur du parfum confectionné sur l’île où l’empereur établit sa dernière demeure. Dans les années 1990, cette Eau parfumée est reproduite à l’identique par Jean Kerleo, fondateur et parfumeur de l’Osmothèque à Versailles où le parfum est précieusement conservé. Ainsi nous est-il possible de sentir le parfum qui accompagna l’empereur dans ses derniers jours, trouvant dans cette odeur une sorte de réconfort adoucissant la dureté de sa captivité.
[1]Septimus Piesse, Des odeurs, des parfums et des cosmétiques, J.B. Baillière et Fils, Paris, 1865, p.31.
A retenir :
- Napoléon prend soin de son hygiène et aime se parfumer quotidiennement.
- L’engouement de l’empereur pour le parfum prend ancrage dans un contexte culturel et économique favorable au retour du luxe dans les hautes sphères de la société à la suite des tumultes de la Révolution française.
- L’origine de l’Eau de Cologne, tantôt attribuée à Jean Paul Feminis, tantôt à Jean Marie Farina, est sujette à controverse.
- L’Eau de Cologne est également utilisée par Napoléon pour ses vertus médicinales.
- Lors de son exil, Napoléon demande la confection d’une Eau de Cologne dont la recette est aujourd’hui soigneusement préservée à l’Osmothèque de Versailles.
Sources
- Une Eau de Cologne naturelle et authentique. URL : https://www.napoleon-cologne.fr/fr/une-eau-de-cologne-toilette-naturelle-8 [Consulté le 08/05/2021].
- Béatrice Boisserie, Le parfum, La Boetie, 2004.
- Eugénie Briot, « From Industry to Luxury: French Perfume in the Nineteenth Century », Business History Review, Volume 85(2), 2011, pp.273-294.
- Maître André Damien, L’authentique eau de Cologne de l’empereur à Sainte Hélène.
- URL : https://www.napoleon-cologne.fr/fr/ ; [Consulté le 08/05/2021].
- Marielle Brie, Napoléon et l’Eau de Cologne,2018. URL : https://blog.napoleon-cologne.fr/napoleon-et-eau-de-cologne/[Consulté le 06/05/2021].
- Markus Eckstein, Eau de Cologne. Les 300 ans de Farina, JP Bachem Verlag, 2017.
- Septimus Piesse, Des odeurs, des parfums et des cosmétiques, J.B. Baillière et Fils, Paris, 1865.
- Septimus Piesse, Histoire des parfums et hygiène de la toilette (…),Paris, 1905.
Par Farah Achhab d’Un souffle d’Histoire
Cet article est écrit en partenariat avec Un souffle d’histoires, vous pouvez la retrouver à différents endroits :