Héritages

L’enluminure et plus particulièrement les lettres enluminées sont autre chose qu’une vulgaire mise en forme. Le soucis du détail et la précision sont deux éléments caractéristiques de cette façon de mettre en lumière un écrit. Cet art qui donne tant de couleurs aux écrits nait au Moyen Age alors que les livres commencent à se développer sous forme de « codex Â». L’on décide d’apporter un soin particulier à la mise en page, aux détails, aux lettres. Pendant 1200 ans, l’enluminure se développe et différents styles émergent, suivant les périodes historiques et les dynasties au pouvoir :

Un décor aux mille visages et fonctions

L’enluminure est née en meme temps que le livre que nous connaissons aujourd’hui et c’est une pratique typiquement médiévale répandue dans les pays d’Europe occidentale. Le décor enluminé a une influence considérable à la fois sur le lecteur et sur la mise en page en elle-même. L’enluminure sert en premier lieu à articuler le texte, à déterminer les paragraphes : le lecteur peut donc mieux se repérer. Le décor enluminé n’a donc pas qu’une portée purement décorative : il est un élément de la mise en page à part entière. De cette manière, les livres vont se doter de structures peu à peu grâce à des chapitres, des sections ou encore des paragraphes. L’enluminure joue donc un double jeu : elle renseigne le lecteur sur le texte et inversement. 

Le décor possède une existence propre et c’est l’artiste qui va décider quel rôle va jouer l’enluminure : symbolique, historique, esthétique, utilitaire..etc. Les différents types, styles et éléments de décors correspondent à des périodes et nous permettent aujourd’hui de pouvoir précisement dater les ouvrages. Tous types d’ouvrages sont enluminés mais la Bible, qui est le livre le plus lu au moyen Age demeurera également le plus enluminé.  Avec l’apparition d’une structure apparente du livre, le décor et ses spécificités vont eux aussi etre soumis à une hiérarchie qui s’exprime par des différences techniques telles que la taille, les couleurs ou encore la technique utilisée : la peinture prime sur le dessin, les métaux sur les couleurs, l’image sur l’ornement, le grand sur le petit. Ces éléments permettent de dater et de déterminer l’atelier dans lequel l’œuvre a été réalisé. 

Lettrine P historiée : Médecin enseignant à un disciple
Guy de Chauliac, 1469.
BnF, Manuscrits occidentaux NAL 1247
© Bibliothèque nationale de France

Les différents types d’enluminures

A l’époque mérovingienne, l’enluminure se caractérise par la présence d’un important bestiaire. Les poissons et les oiseaux sont les plus représentés. Motifs géométriques, spirales, entrelacs et couleurs chatoyantes vont égayer les bordures des textes. Les premières représentations de figures humaines dans les enluminures apparaissent à la toute fin de cette période. Des outils comme le compas et la règle sont obligatoirement utilisés pour la réalisation des initiales. En France, le monastère de Luxeuil réalisera le Lectionnaire de Luxeuil, les plus belles enluminures de cette période.

L’époque carolingienne (IXème – Xème) confère une place centrale à l’écrit et aux livres et c’est Charlemagne qui va décider d’inclure l’écrit dans toute la vie du royaume. Charlemagne réorganise les institutions et les méthodes : il va gouverner en rédigeant des capitulaires qui vont se diffuser dans tout le royaume. De plus, il réforme l’enseignement qui va désormais s’attacher à étudier les textes sacrés et anciens. Au sein des églises, des couvents ou encore des monastères, des groupes d’érudits vont diriger des lieux de production de manuscrits. Au niveau des matériaux utilisés, ces derniers étaient très onéreux : encre d’or ou d’argent, plaques d’ivoire, orfèvrerie …etc. En ce qui concerne l’iconographie liée à cette période, les feuillages et les animaux sont toujours très présents. C’est à cette époque que la lettre « historiée » se développe : un personnage raconte une histoire à l’intérieur de cette lettre. Différentes écoles émergent et réalisent des oeuvres toujours plus abouties, emplies de détails et de couleurs comme le Sacramentaire de Drogon (2) réalisé par l’école de Metz ou la Bible de Charles le Chauve d’après l’école de Tours (1).

Entre le XIème et le XIIème siècle, l’enluminure se développe dans un premier temps en France et en Angleterre. Les ateliers du nord de la France sont ceux qui produisent les ouvrages de belle facture comme Arras, Tournai, Amiens. La diffusion du style roman est en partie dûe à l’Ordre de Cluny et des Chartreux qui imposaient à tous leurs membres d’être moines et copistes. A cette époque, l’enluminure et le décor prennent de plus en plus d’espace au sein des ouvrages. Les « pages-tapis » et peintures « Ã  pleines pages » apparaissent. De vives couleurs sont également présentes. Ce n’est plus l’image qui vient en complément du texte pour le préciser mais c’est bien le texte qui s’adapte à l’image prenant tout l’espace. Les lettrines zoomorphiques, difficilement lisibles, vont également se développer.

Morales de Job de Cîteaux, par le scriptorium de Cîteaux, vers 1109, Bibliothèque de Dijon

Entre le XIIIème et le XVème siècle, c’est l’âge d’or de l’enluminure. Les écoles et universités étant de plus en plus nombreuses, de plus en plus de livres sont nécessaires. Des ateliers vont alors se multiplier dans les villes afin de réaliser un plus grand nombre d’exemplaires. De plus, les livres deviennent des objets d’art et de luxe, très demandés. Au niveau des formes que pouvaient prendre les enluminures, de plus en plus de « médaillons » apparaissent, notamment parce qu’au meme moment se développe le vitrail. L’iconographie va être composée de nombreux animaux hybrides et étranges. Grace à l’amélioration de la technique, les corps des personnages et les tissus vont être beaucoup plus souples et fluides. En ce qui concerne les couleurs, la palette va s’agrandir grâce à une volonté d’appliquer de plus en plus de nuances et de tons différents.

Les animaux : un motif récurrent

Les animaux vont être présents quotidiennement pendant le Moyen-Âge, il n’est donc pas surprenant de les rencontrer comme illustrations dans les manuscrits. On va parler d’une certaine idée de cohabitation entre l’homme et l’animal. En effet, les animaux vont être utiles pour l’homme sur différents aspects comme par exemple le mouton qui va permettre de le nourrir, ainsi que l’habiller mais également de créer des parchemins pour les livres comme les plumes d’oiseaux vont êtres utiles dans la confection d’outils pour réaliser les manuscrits. Les animaux vont également participer à la force de travail avant l’invention des machines et vont êtres présents lors d’activités chez l’homme comme la pêche ou la chasse.On va y voir dans ce dernier domaine un expression de caractère spécifiques à certains animaux comme la ruse, ou l’intelligence de l’animal ou la fidélité concernant le chien. Cet intérêt de caractéristiques chez les animaux va faire apparaître les bestiaires, c’est à dire des livres regroupant différents animaux dans un ordre précis commençant généralement par le lion, puis des animaux sauvages, suivi des animaux domestiques et de “petites têtes” qui regroupe les oiseaux et insectes. Dans les bestiaires, l’artiste représente une illustration figurée de l’animal suivi d’une description en latin ou en français. 

De plus,  certaines représentation d’animaux étranges vont apparaitre, particulièrement entre le XIII ème et le XV ème siècle, on va parler d’être hybride. L’être hybride est reconnaissable par sa représentation, en effet l’artiste va réaliser un mélange de différentes parties du corps parfois humain mais généralement animal . L’idée est de reconnaître les différents animaux utilisés, l’enlumineur va récupérer des éléments permettant de reconnaître facilement l’animal comme des plumes, des écailles, de la fourrure ou encore des griffes. On va parler de Marginalia ou de drôlerie qui a pour visée de distraire, amuser le lecteur. Concernant l’artiste, en réalisant ces êtres hybrides, il réalise une recherche d’esthétique, de plaisir d’assembler des traits d’animaux afin d’en inventer une nouvelle forme. 

Seconde bible de St Martial de Limoges Lettrine V. XIe siècle BnF de Paris Latin 8 folio 183
Seconde Bible de St Martial de Limoges. Lettrine V, XIème siècle, BnF, Paris.

Il ne faut pas oublier que les enluminures étaient principalement présentes dans les oeuvres religieuses. C’est pourquoi certaines représentations d’animaux vont avoir un sens caché. Par exemple le cerf va avoir une vision christologique. En effet, il est assimilé à une vie qui se perpétue, à une renaissance. On le représente parfois dans l’idée de la résurrection du Christ. L’agneau va également incarner le Christ dans une idée de douceur, pureté et de sacrifice comme le Christ. Il y a également le papillon, représentant l’idée de la transsubstantiation car il est capable de tirer son attache terrestre afin de s’élever vers les cieux. Idée confirmée par son origine grec “Psyché” qui signifie l’âme. La Bible va également donner une place importante dans l’écrit pour les animaux comme dans la création ou encore avec Noé, il est donc important d’illustrer avec les animaux qui sont évoqués dès le début de la Bible. Les animaux vont aussi être présents dans le tétramorphe qui s’associe aux quatres évangélistes avec Marc pour le lion, Luc pour le taureau , Matthieu pour l’ange et Jean pour l’aigle, invoquant encore des caractéristiques que l’on retrouve chez les évangélistes ainsi que chez les animaux. Cette image se retrouve dans l’apocalypse de saint Jean “ « Devant le trône, on dirait une mer, aussi transparente que du cristal. Au milieu du trône et autour de lui, se tiennent quatre Vivants, constellés d’yeux par-devant et par-derrière. Le premier Vivant est comme un lion ; le deuxième Vivant est comme un jeune taureau ; le troisième Vivant a comme un visage d’homme. Le quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol. Les quatre Vivants, portant chacun six ailes, sont constellés d’yeux tout autour et en dedans. »

                  Folio 72 recto des Très Riches Heures du Duc de Berry, des frères de Limbourg (1410/1416) France

A l’heure où les machines ont pris les commandes comme le dirait G.Orwell, l’art de l’enluminure nous permet d’admirer ce que la patience et le travail font de mieux.

Pour aller plus loin :

Par Colombe Cissé pour Héritages

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