Héritages

« Loin ces études d’œillades, / Ces eaux, ces blancs, ces pommades, / Et mille ingrédients qui font des teints fleuris : / A l’honneur tous les jours ce sont drogues mortelles ; / Et le soin de paraître belles / Se prennent peu pour les maris. » Cette deuxième « maxime du mariage » d’Arnolphe, dans L’école des Femmes de Molière laisse, bien qu’en négatif, entrevoir ce que sont les cosmétiques sous l’Ancien Régime : des objets de paraître aux yeux du monde, à la composition parfois nocive… ce qui change en grande partie au XVIIIe siècle par un ensemble de facteurs tant matériels que sociaux, que nous nous proposerons d’analyser ici. Partons donc à la découverte des cosmétiques sous le règne de Louis XVI, en faisant un petit excursus dans les temps plus anciens afin d’en comprendre les origines !

(Image : Gravure d’une scène de l’école des femmes, réalisée par Boucher au XVIIIe siècle)

La beauté et ses canons au XVIIIe siècle

Les exigences du paraître : un masque comme visage

Durant tout l’Ancien Régime, les cosmétiques sont surtout liées à une catégorie sociale définie à savoir l’aristocratie et les grands du Royaume. Aussi ce beau monde, qui gravite autour de la cour des rois successifs, doit répondre à des exigences particulières, des codes qui régissent les rapports sociaux. Afin de reprendre les mots du dramaturge Dancourt à la suite de Catherine Lanoë, les nobles pratiquent une « manufacture des visages » qui vise à la normalisation et l’égalisation de ces derniers ainsi que des humeurs dans un monde polissé. Ainsi, le fard blanc est un instrument clé du paraître pour différentes raisons. Tout d’abord, la peau blanche laisse entendre l’appartenance à la noblesse par rapport aux roturiers qui, puisqu’ils travaillent, s’exposent d’avantage au soleil et ont souvent une peau mate, du moins rougie. Le blanc, en reprenant la logique chrétienne des linges précieux ainsi que les habits du baptême qui doivent être immaculés, renvoie également à un idéal de pureté et perfection qu’est censé représenter la noblesse par des mœurs raffinées. Enfin, et cela nous renvoie à ce qui est évoqué plus haut, le blanc permet de cacher les imperfections ainsi que les mouvements de l’âme, comme le rougissement par exemple. En effet, révéler ce que l’on pense par son corps, c’est alors risquer de se laisser « lire » par l’autre et, d’une certaine manière, lui être ainsi soumis dans ce grand jeu de théâtre qui se joue continuellement à la cour. ​Aussi, le visage est considéré comme un matériau, une surface à rendre docile pendant la plus grande partie des temps modernes. En effet, pour reprendre la question de la blancheur de la peau, elle peut s’obtenir de différentes manières. D’abord, par le fard dont la dénomination est changeante : « blanchet », « blanc de perle », « blanc de Candie »… et dont l’application renvoi à celle de nos fonds de teint actuels. Ensuite, viennent les manières plus corrosives destinées à venir à bout des boutons, rougeurs et autres imperfections. On utilise alors des produits plus ou moins naturels puisqu’allant de l’acidité du jus de citron jusqu’à l’acétate de plomb liquide mélangé à de l’eau par exemple, mixture appelée « lait virginal ». Ces substances sont alors appliquées sur un linge servant à frotter le visage, la peau en général, comme une sorte de « soin exfoliant ». ​Néanmoins, cette uniformisation des visages ainsi que la dimension de « masque » tend peu à peu à disparaître au XVIIIe siècle qui ouvre de nouvelles perspectives aux cosmétiques. ​

Vers une cosmétique du bien – être

​Le développement des sciences, comme nous le verrons plus tard, permet d’établir un lien plus étroit entre cosmétique et santé. Au XVIIIe s, le visage doit alors laisser transparaître les caractéristiques d’une personne saine. Ainsi, si l’on connait et use déjà du rouge avant la période des Lumières, cette couleur est remise au goût du jour afin de donner au visage un aspect naturellement sain en rehaussant la blancheur du teint, ainsi que pour laisser libre court à la créativité de chacun. Se déclinant du rouge foncé, obtenu à partir de la cochenille, jusqu’au rose, en passant du rouge – orangé, fabriqué à partir d’une espèce de safran, des teintes variées se développent. On a, de fait, une adaptation des cosmétiques aux personnes qui se met en place. Une sorte de personnalisation du maquillage s’adaptant à la carnation, à l’envie du moment, aux occasions… est amorcé, ce qui traduit un désir de singularité, de diversification et adaptation des cosmétiques. Plus encore, on ne se maquille plus seulement pour les autres mais de plus en plus pour soi-même, dans un souci de bien – être et de plaisir. De fait se développent des soins cosmétiques impliquant des « gestes à rebours », comme l’indique Catherine Lanoë. Ainsi en est –il des pommades « démaquillantes » pour enlever le rouge ou celles destinées à nourrir les cheveux et en favoriser la pousse…

Une interpénétration des sens

Dans la cour tout particulièrement, le paraître ne se résume pas à la simple apparence. En effet, le parfum joue un rôle essentiel dans la cosmétique et imprègne les produits de beauté. Ceci est particulièrement vrai avant le XVIIIe siècle où le contact de l’eau est mal vu par les contemporains, car cela est pensé comme vecteur de maladies. De fait, on se lave « à sec » à l’aide de tissus frottés sur la peau, avec l’idée que les odeurs repoussent les miasmes. Les « toilettes » des hommes comme des femmes sont donc composées de linges imprégnés d’odeurs puisque trempés dans des bains parfumés et frottés ensuite sur des pâtes aux odeurs parfois exotiques, comme la cannelle ou le girofle… De plus, les poudres utilisées pour les perruques, pour les soins du corps, tels les gants imprégnés de graisse à mettre pendant la nuit afin d’avoir des mains douces et répondre ainsi aux exigences de beautés, sont toujours imprégnés d’odeurs. Aussi, le développement du parfum sous l’Ancien Régime connaît un nouvel essor avec le développement des compagnies maritimes qui rapportent de nouvelles senteurs issues du « Nouveau Monde ». C’est d’ailleurs au XVIIe siècle que le titre de « parfumeur » fait l’objet d’une profession déterminée. Pour revenir plus particulièrement au XVIIIe siècle, les odeurs connaissent aussi un bouleversement certain. En effet, après la mort de Louis XIV, la cour laisse peu à peu tomber les fragrances lourdes et capiteuses pour se tourner vers des parfums plus légers et frais. La guerre de sept ans, qui met en conflit les royaumes de l’Europe entière entre 1756 et 1763, joue également en cette faveur. En effet, alors que les troupes françaises occupent la ville de Cologne en Prusse, elles font la découverte de l’eau de Cologne qui est rapportée en France. Cette eau, aux notes d’agrumes fraîches ouvre la voie à un engouement pour des odeurs plus légères dont les « bouquets de printemps », parfums composés de « violette, petit giroflée jaune, jonquille et muguet, distillés à petit feu dans de l’esprit de vin » qui caractérisent une sensibilité nouvelle, comme l’indique Annick le Guérer. ​La cour est donc le lieu privilégié pour entrevoir le développement des cosmétiques sous l’Ancien Régime et les changements progressifs qui s’opèrent au cours du XVIIIe siècle. Cependant, il faut comprendre que ces bouleversements s’inscrivent dans un cadre particulier de changements sociaux qui imprègnent les manières d’agir, de vivre et de penser.

Le XVIIIe siècle comme tournant pour les cosmétiques

Quels acteurs ?

​Les acteurs de la cosmétique sont un premier point à étudier pour comprendre les évolutions en ce domaine. Tout d’abord, la confection des cosmétiques, puisque liée à des pratiques assimilée souvent à la cuisine comme à la médecine, ne fait pas l’objet d’un monopole farouche d’une corporation. En effet, leur fabrication est souvent de l’ordre de l’économie domestique et ce, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle bien que certains acteurs tentent de s’en arroger quelques droits. Parmi ceux – ci se trouvent des particuliers qui mettent au point des recettes et tentent de les commercialiser en s’appuyant sur divers logiques que l’on qualifierait aujourd’hui de « marketing ». Le cas de Joseph Collin est particulièrement révélateur dans ce cas. Nous y reviendrons par la suite. En deuxième position viennent les gantiers parfumeurs qui, depuis le XVIIe siècle disposent d’aptitudes qui les rendent aptes à s’emparer de ce domaine d’un point de vue professionnel. Ils manient en effet, la poudre et les parfums au quotidien. Leur travail consiste, en plus de connaître l’art de la maroquinerie, de savoir comment purger la peau de ses mauvaises odeurs ainsi que d’allier les matières premières odorantes afin de rendre leur parfum agréable. Ces gantiers parfumeurs réalisent de véritables compositions parfumées, comme pour les gants à l’odeur de jasmin, dont la fragrance est obtenu précisément sans fleur de jasmin mais à partir d’un mélange de « benjoin, iris en poudre, bois de rose, storax liquide, bois de santal, eaux de rose et de fleur d’oranger » (Annick le Gérer). Quant à la coloration des peaux, elle s’opère à l’aide de pigments issus de végétaux (comme le safran pour des teintes rouge – orangé, le tournesol pour les bleus…), d’animaux (la cochenille…) de minéraux (la couleur « braise » à partir de l’alun…). Ces artisans usent également de talc (poudre amidonnée), dans leur profession et entreprennent donc une amélioration des techniques pour en réaliser. Ainsi en est-il de la création d’une machine visant à broyer l’amidon et tamiser la poudre à la fois afin d’en optimiser la fabrication. Les gantiers parfumeurs opèrent donc un « décloisonnement » des métiers et se trouvent à la jonction entre parfumeurs, teinturiers, meuniers, et apothicaires par l’utilisation des plantes. Enfin, la mise en place d’académies et d’institutions de santé et de science accompagne ce renouveau de la cosmétique en s’assurant de la qualité des produits dans une logique de santé et d’hygiène publique qui prend de plus en plus d’importance au XVIIIe siècle. ​

Par Buffard, 1912

Quand la science se fait belle…

​La nocivité de certaines cosmétiques, notamment celles à base de plomb ou mercure, est connue depuis le XVIe siècle et est l’objet de critique de nombre de médecins. Néanmoins, jusqu’alors, puisque l’apparence prime largement sur d’autres considérations, les personnes ne prêtent pas vraiment attention à ces recommandations. Aussi, le roi Louis XVI tente de mener une politique de santé publique lors de son règne. Par exemple, ceci se traduit à partir de 1776 par une évaluation de la production des produits de beauté par la Société royale de médecine. Cela va également de pair avec une nouvelle conception de ce type de produit par les consommateurs (car il va s’agir de plus en plus d’un bien de consommation) qui traduit la recherche d’une beauté « bien – être », comme nous l’avons déjà vu. Chimie, médecine, santé et beauté vont alors de pair dans ce processus de fabrication de cosmétiques. ​Le cas de Joseph Collin, que nous développerons également par la suite, promoteur d’un « fard rouge d’origine végétale » réalisé à base de safran, témoigne bien de ces liens. En effet, cet inventeur parvient à obtenir en février 1772 la garantie d’innocuité (non – toxicité) de son fard auprès de l’Académie royale des sciences. Pour cela, il réalise le produit devant des commissaires agréés qui, ensuite, en font une analyse chimique avant de donner leur verdict qui s’avère, pour ce cas, positif. Dès lors, il présente son produit comme « ne contenant rien de nuisible à la santé » dans un but commercial, ce qui remporte effectivement un certain succès. ​Afin de reprendre l’idée des plantes, il peut aussi être intéressant de mentionner l’intérêt des scientifiques pour la botanique. En effet, certains produits cosmétiques parfumés comme de nature tinctoriale provenant du « Nouveau Monde », parviennent ainsi à être acclimatés dans les îles de France et celle de Bourbon. C’est notamment l’œuvre de Pierre Poivre qui parvient ainsi à acclimater la canne à sucre, le giroflier, le muscadier, le cannelier… ce qui permet le développement de ces arômes et odeurs qui échappent au monopole de vente de certains pays. Le développement des institutions scientifiques permet donc d’accompagner un certain renouveau dans les cosmétiques à cette époque.

Vers une marchandisation des produits de beauté

Nécessaire à parfum en nacre à décor argenté contenant quatre flacons de cristal et un entonnoir en argent (XVIII ème siècle) et Nécessaire à parfum en écaille à monture de laiton contenant deux flacons en cristal ( XIX ème siècle).

Aussi, si une politique de santé est de mise, concernant notamment les produits de beauté, c’est que la commercialisation de ces biens touche des catégories de populations de plus en plus larges. L’enjeu commercial qui résulte de la démocratisation des cosmétiques engendre de nouvelles logiques de vente que le « rouge d’origine végétal » de Joseph Collin peut de nouveau illustrer. En effet, son idée de garantie de son produit par l’académie, est reprise par d’autres inventeurs. Pour que l’académie des sciences, puis celle de médecine, ne soient pas constamment sollicitées par ce genre de demande, une enquête est menée par Lavoisier et Jussieu sur les rouges réalisés dans la capitale. Cette enquête révèle que la recette de Collin n’est en rien une nouveauté puisqu’elle existe depuis le XVIe siècle et que, si les autres rouges peuvent être issus de végétaux comme d’animaux (cochenille), ils n’en sont pas nécessairement plus toxiques. Ainsi nous pouvons nous pencher sur la stratégie commerciale de Collin qui est particulièrement novatrice.

​Comme nous l’avons déjà mentionné, cet inventeur vend son « fard rouge » en insistant sur le fait qu’il « ne [contient] rien de nuisible à la santé ». Il tente ainsi d’éveiller la peur du consommateur sur les produits de mauvaises qualités qui pourraient leur faire du mal et appuie sur l’importance du « végétal » qu’il associe à la santé. Il insiste également sur la garantie de la qualité de son propre produit qui, s’il peut se voir vendu dans différents contenants, garde ses propriétés. Il se nomme aussi lui – même « Fabriquant – Marchand de la Reine », sans que cela soit pourtant attesté, afin d’attirer la curiosité des personnes et de se placer dans les anciennes logiques de patronage princier. Il instaure également un système de « marque » puisque son rouge ne peut être vendu que dans certaines boutiques agrées. Enfin, il ouvre ce produit à une clientèle large en offrant une gamme de prix dont la différence essentielle ne se trouve pas tant dans la qualité du produit, comme nous l’avons vu, que dans le « packaging ». ​De fait, il convient tout de même de trouver des moyens de conserver les statuts sociaux des sujets du royaume. Dans cette logique, le luxe, réservé aux nobles, s’incarne dans les contenants des produits qui sont alors de véritable objets d’art, comparés à de la faïence commune pour les gens plus modestes.

Exemples

Pour conclure cette étude, nous avons vus que les cosmétiques, connaissaient un véritable tournant au XVIIIe siècle en ce que l’on passe d’une logique de beauté – paraître pour les autres, à une beauté pour soi – même. Aussi, les réalisateurs de ces produits de beauté proviennent de divers milieux puisque la confection de cosmétiques ne fait pas l’objet d’une corporation particulière, mais sont assujettis à un politique de santé nouvelle qui s’établie dans le royaume. Enfin, les cosmétiques se démocratisent au cours de ce siècle et témoigne d’une mise en place de « marchandisation » et commercialisation publicitaire des biens. Somme toute, des logiques assez semblable aux nôtres, puisque nous revenons aujourd’hui tant à la question de la santé que de la personnalisation, bien que tout ceci soit régit par des normes institutionnelles. Sur ce, prenez soin de vous !

Par Aurore Artignan pour Héritages