Héritages

« Si les femmes qui travaillent dans les usines s’arrêtaient vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre. » Maréchal Joffre

Elles s’appelaient Jeanne, Marie, Louise, ou Gabrielle, elles étaient paysannes, ouvrières, infirmières, institutrices, ou conductrices de tramway, jeunes ou âgées, et ont non seulement participé à l’effort de guerre, mais aussi joué un rôle essentiel dans la victoire des Alliés, loin du front.

Suite à la mobilisation nationale, les femmes se heurtent à une désorganisation économique : 60% des emplois disparaissent en quelques jours et de nombreuses femmes sont privées du salaire de leur mari (3,7 millions d’hommes sont mobilisés dès août) . Si en 1914, elles sont déjà 7 millions à être actives, les Françaises ont dû se substituer à leur mari parti au front pour continuer de faire fonctionner l’économie, et ont eu accès à des métiers jusqu’alors majoritairement réservés aux hommes.  Le 7 août 1914, le président du Conseil, René Viviani, lance un vibrant appel « Aux femmes françaises » dont est restée l’image emblématique de la paysanne attelée à la charrue, remplaçant les animaux réquisitionnés par la guerre et labourant les champs à bras le corps. 

Archive Musée de la Grande Guerre de Meaux

Au même moment, de nombreuses femmes s’engagent pour panser, soulager, rééduquer et accompagner les soldats dans la mort. Parmi elles, Julie, qui fait partie des 68 000 « anges blancs » bénévoles de la Croix-Rouge, et qui constitue cette quatrième armée nationale de 100 000 infirmières. Elle est quotidiennement confrontée aux atrocités de la guerre : « Rien ne peut dire l’horreurde ces gémissements[2] Â».D’autres y ont laissé leur vie, mortes des suites de maladies contractées en service, ou tuées lors de bombardements[3]

Dans l’industrie de guerre, ce sont 420 000 munitionnettes qui travaillent dans des conditions éprouvantes[4]. Elles sont victimes de nombreux accidents, du comportement abusif des contremaitres, et soumises à une pression infernale : « une minute de perdue, un mort de plus au front ». Elles tournent 2500 obus quotidiennement pendant dix à quatorze heures (300 millions d’obus au total). Malgré la pénibilité de la tâche, elles sont victimes d’une forte inégalité salariale : écart de 20% en 1917 contre 50% en 1914.   En plus de leur nouveau travail dans la société, les femmes doivent aussi assumer leur rôle traditionnel et celui du « chef de famille ». Elles doivent s’occuper des enfants, parer au rationnement alimentaire, au manque de nourriture, à la difficulté de se ravitailler en combustible et en chauffage.

Munitionnettes

L’engagement des femmes se traduit aussi à travers la correspondance qu’elles entretiennent avec les poilus. Pour les soldats ayant laissé derrière eux leur famille, recevoir du courrier est vital. Cela leur permet de garder un lien avec leur épouse, leur mère, leur fille ou leur fils. Pour les soldats restés sans famille, l’institution des Marraines de guerre est créée en 1915. Certaines femmes sont appelées à rédiger des lettres, livrer des colis (nourriture, tabac) à ces hommes afin de leur apporter un soutien psychologique.Chaque jour, ce sont 1,8 million de lettres, en moyenne, qui sont envoyées du front vers l’arrière et trois à quatre millions de l’arrière vers le front.

Mais à l’arrière, il y a surtout l’attente et l’angoisse quotidienne de perdre un être cher. C’est le cas de Marie, qui attend des nouvelles son mari et ses deux fils mobilisés en Ariège : Â« Ce soir une frayeur me prend tout à coup de n’avoir pas eu de lettres depuis si longtemps. Je cours voir la date de la dernière lettre reçue, elle a été écrite le 18. Voilà que j’ai peur, mais peur… Il y a au fond de moi une personne raisonnable qui tâche de me rassurer. Je n’écoute rien. Je m’affole et les moindres bruits me font sursauter. Je donnerai tout pour quelques lignes, un mot qui ferait cesser cette angoisse Â»[5]A la fin de la guerre, la France compte 630 000 « veuves noires Â».

Il faut aussi parler de ces femmes dont le sort a été oublié, et qui pourtant ont été directement confrontées à la violence de la guerre loin du front. Plus de deux millions de Français ont vécu sous l’occupation allemande. Dès le début de la guerre, des viols et d’autres atrocités sont commis par les Allemands à l’encontre des populations civiles entrainant des grossesses forcées, stérilisations forcées, mutilations, ou encore un esclavage sexuel. La pratique de prises d’otages et du travail forcé étaient également fréquentes, ainsi que la déportation dans des camps de concentration pour femmes. Dans ce contexte, plusieurs Françaises ont résisté, comme par exemple Henriette Moriamé, Louise Thuliez, et Léontine Herbert qui ont ravitaillé et caché des soldats, ou encore Louise de Bettignies devenue espionne pour le compte de l’armée britannique. L’occupation de 14-18 préfigure par bien des aspects de celle de 39-45.

Si la mémoire collective établit que la Grande guerre a été une période d’émancipation pour les femmes, la réalité est plus complexe. La guerre a en effet amplifié la féminisation des bureaux (la part des femmes ayant été multipliée par dix entre l’avant-guerre et l’après-guerre), mais la majorité d’entre elles sont priées de retourner à leur foyer et de reprendre leur rôle d’épouse et de mère, notamment dans le but de repeupler la France après l’hécatombe de la guerre.  Cette période a surtout permis de mettre en lumière le courage et la détermination de toutes ces femmes qui ont été le pilier de l’effort de guerre. 

En résumé : 

  • Les Françaises se sont mobilisées sur tout le territoire national et ont contribué à l’effort de guerre.
  • Devenues chef de famille, infirmières, institutrices, conductrices de tramway, ouvrières, aviatrices ou espionnes, elles ont eu accès à des métiers qui étaient jusqu’alors majoritairement réservés aux hommes.
  • Après l’armistice, les femmes sont démobilisées et retournent pour la plupart dans leur foyer. Mais les métiers réservés aux hommes ne leur sont plus complètement interdits : la fonction publique les accueille, les bureaux se féminisent, et le baccalauréat s’ouvre aux femmes en 1919.

Pour aller plus loin :

https://www.youtube.com/watch?v=GLf1pXSGnno

  • [2]Julie Crémieux, Souvenirs d’une infirmière, ed. Rouff, Paris, 1918, page 5.
  • [3]105 bénévoles de la Croix-Rouge sont mortes sous les bombardements et 246 des suites de maladies contractées en service. 10 223 infirmières sont décorées dont 323 légions d’honneur.
  • [5]Marie Escholier, Les saisons du vent. Journal août 1914 – mai 1915, Carcassonne, Garae/Hésiode, 1986, 154 pages.

Par Océane Guichard