Saviez-vous que Louis IX était aussi appelé le roi justicier ? En effet, soucieux du bon développement de son royaume, il a ordonné tout un chantier pour y fonder un système judiciaire solide. A partir de 1247, le roi est à l’origine d’une entreprise inédite qui durera jusqu’à sa mort en 1270 : les « grandes enquêtes ». Celles-ci ont grandement participé à la construction de l’État monarchique capétien et nous renseignent de manière implacable sur le rapport entre les gouvernés et les gouvernants de cette époque. Mais elles ne sont pas simplement un outil au service du pouvoir royal. Elles s’inscrivent également dans une véritable démarche de piété individuelle.
À partir de 1247, Louis IX entreprend un vaste chantier pour développer le système judiciaire du royaume. Il ordonne d’importantes enquêtes afin de réparer financièrement les préjudices causés à ses sujets et à ses officiers, par son administration et celle de ses prédécesseurs. Il est important de rappeler que ces enquêtes sont entreprises dans une conjoncture particulière.
En effet, Louis IX et ses prédécesseurs agrandissent de manière conséquente le « domaine royal ». Alors que Philippe Auguste (1180-1223) étend non seulement son influence en Flandre et en Champagne, il triomphe également des Plantagenêt, permettant d’intégrer au royaume la Normandie, l’Anjou et le Maine (1204) et une partie de l’Auvergne en 1213. Louis VIII (1223-1226), lui, continue la poussée vers le Languedoc repoussant les frontières du royaume plus au Sud. Louis IX, enfin, en plus de consolider ces conquêtes, intègre la Provence et le Languedoc à la suite du traité de Corbeil en 1258.
En somme, le royaume de France s’étant fortement agrandi, une affirmation du pouvoir royal était nécessaire. Or, les enquêtes répondent à ce besoin.
N’oublions pas non plus que le système politique alors en place est un régime féodal. La féodalité peut se définir comme un ensemble de normes et de règles nécessitant des liens particuliers entre deux individus. D’une part, le lien dit “d’homme à hommeâ€, c’est-à -dire la reconnaissance d’une hiérarchie entre un seigneur et son vassal, fondée sur le rite de “l’hommageâ€, aussi appelé relation vassalique. D’autre part, la féodalité repose sur la terre. Pour l’obtention ou la concession d’une tenure (terrain), un service militaire est nécessaire pour défendre son “fiefâ€.
Si le roi est considéré comme le Seigneur principal tout en haut de la hiérarchie, le régime féodal a également permis l’émergence d’importants seigneurs qui concurrencent le pouvoir royal. Certains historiens parlent même « d’anarchie féodale », d’où une importante pacification du royaume rendue nécessaire face aux nombreuses révoltes : Poitou 1242, Languedoc 1240-1242 et une reprise en 1254.
Louis IX se sert donc de ces enquêtes comme d’un véritable outil, non seulement de construction de l’État monarchique, qui doit s’imposer dans un système féodal très ancré, mais également de légitimation de son pouvoir.
En plus d’être un outil politique, « les grandes enquêtes » peuvent aussi être vues comme un outil social, nous renseignant sur le rapport entre gouvernés et gouvernants.
Les requêtes des gouvernés sont un bon indicatif pour analyser la façon dont le gouvernement est vu d’en « bas ». En premier lieu, il est intéressant de constater l’importance des plaintes dénonçant l’arbitraire des exactions commises par le roi et les officiers royaux (voir le tableau ci-dessous) comme par exemple les spoliations.
Les faits des guerres et conquêtes tiennent également une place importante. Celles-ci se traduisent par des confiscations, des ravages du sol et des nombreux fléaux que la guerre occasionne. Par ailleurs, la sphère économique s’invite aux plaintes. Les sujets dénoncent les nombreux impayés, dettes et usures. À cela s’ajoutent encore de nombreuses plaintes concernant les contestations des cas d’emprisonnement, des décisions judiciaires et des amendes.
Que répondent les officiers à cela ? Ils défendent non seulement la loi mais aussi le roi. Leur objectif est de réguler la violence et de maintenir l’ordre public. Pour ce faire, ils Å“uvrent à l’affirmation de la souveraineté royale en luttant contre la guerre privée et le port d’armes mais aussi en veillant à ce que les mÅ“urs soient respectées. Ensuite, ils se consacrent à l’application de la législation et à la défense du domaine royal. Enfin, ils s’attachent à la mise en Å“uvre d’un encadrement de l’activité économique, dont l’exemple le plus ostentatoire est une meilleure attention à la perception de la fiscalité royale, ce qui se traduit par d’importantes saisies.
Le roi lui aussi répond aux plaintes. On peut le citer :“Nous ne voulons pas que, par cette ordonnance, toutes ces dispositions prennent force de loi dans nos baillies et dans les autres terres du domaine, car nous ne les avons pas ordonnées dans l’esprit qu’elles constituent le droit, mais pour que, dans les situations douteuses, ayant tempéré la rigueur du droit, nous puissions trouver une voie plus sûre pour le salut de notre âme. Nous gardons ainsi tout pouvoir de les changer ou de les corriger.†(Traduit du latin, [RHGF, t. XXIV, no XIX])
Louis IX est très sensible non seulement à sa propre piété mais également à celle de son royaume. Aussi, comme il le dit précédemment, il fait attention au “salut de notre âme ». La dimension religieuse étant très chère à Louis IX, on peut légitimement se demander si ces « grandes enquêtes » sont un projet religieux.
D’abord, elles interviennent à un tournant majeur dans la vie de Louis IX. En effet, elles sont entreprises dès sa guérison “miraculeuse†survenue en décembre 1244. Cet événement a une réelle influence sur Louis IX : il fait aussitôt vœu de croisade. Mais avant toute chose, Louis IX s’attache avec enthousiasme à réintégrer son royaume dans un horizon spirituel plus ancré dans la religion catholique.
Aussi, les enquêtes ont un lien direct avec la conscience du roi. On peut y voir un projet de piété pénitentielle de la part du souverain soucieux du Salut de son âme. Les investigations entreprises étaient effectuées et ordonnées au nom du salut du roi et vont jusqu’à devenir une sorte d’acte expiatoire.
Puis, à l’image de son roi, le peuple répond présent à cette initiative spirituelle. Par l’application de la doctrine de restitution des male ablata (biens mal acquis), le peuple est lui aussi concerné par l’entreprise de son roi.
Ainsi, se crée un devoir de restitution qui organise véritablement la vie privée et publique. Finalement, on peut voir, à travers ces investigations, une authentique volonté du roi de se racheter et de se rapprocher de Dieu avant son départ en croisade.
En conclusion, ces “grandes enquêtes » mises en Å“uvre à partir de 1247 apparaissent donc non seulement comme un moyen central dans l’art de gouverner mais aussi comme un exemple en matière religieuse. Si le projet ne fait pas l’unanimité, il traduit une volonté de rachat aux yeux de Dieu, et porte donc une dimension spirituelle. En plus d’être spirituelles, ces « grandes enquêtes » sont une référence en termes politique et de bon gouvernement. Aussi, Louis IX est-il parvenu à bien administrer son royaume tout en créant un consensus autour de sa personne. Cette pacification du royaume soulève tout un questionnement autour de la modernité. A la suite de Jacques le Goff, on peut s’interroger sur cette Å“uvre de Louis IX : est-il un roi moderne ou un roi féodal ?
Pour approfondir sur l’œuvre de Louis IX, je ne peux que vous encourager à aller plus loin sur ces actes pour la construction d’une justice royale souveraine notamment sur les “grandes ordonnances†de réforme de 1254 en vous recommandant la lecture de l’article suivant : DEJOUX, Marie. “La fabrique d’une loi. Retour sur la “grande ordonnance de réforme de 1254â€â€, Médiévales, vol. 79, 2020, pages 189-208.
Thomas
Sources :