« Le temps était encore ténébreux et sentant l’infélicité et calamité des Goths, qui avaient mis à destruction toute bonne littérature. Mais par la bonté divine, la lumière et la dignité ont été de mon âge rendues es lettres… » voilà comment Gargantua décrit la fin du Moyen-Âge à son fils Pantagruel (1). Cette description est pourtant éloignée de la vérité car la littérature connaît au Moyen-Âge, et ce malgré le contexte de la guerre de Cents Ans, un véritable essor marqué par le passage de l’ancien français au moyen-français. Au fil de cet article, nous verrons que la littérature du Moyen-Âge est indissociable des événements politiques qui se sont joués durant la guerre de Cent-Ans.
Les chroniqueurs, entre littérature et histoire
Au début du Moyen-Âge, la littérature est le plus souvent rédigée en latin et n’est accessible qu’aux clercs. En effet, les personnes sachant lire et écrire en langue vulgaire mais ne maîtrisant pas ou peu le latin, n’ont pas accès à ces textes. Or, la population réclame de lire de l’Histoire.
On voit donc apparaître, à partir du XIIIe siècle, des chroniqueurs rédigeant des… chroniques. Ces textes, écrits en langue vulgaire, se basent à la fois sur des sources orales (témoins vivants, voyages…), et sur les souvenances des auteurs qui ne sont pas toujours d’une grande rigueur historique et souvent loin d’être impartiaux. Les chroniques relatent des événements historiques mais peuvent aussi bien donner des informations culturelles ou géographiques, si bien que nous pourrions parler d’anthropologie si cela n’était un anachronisme. Aussi, nous nous contenterons d’un simple rapprochement.
Quand la guerre de Cent Ans éclate, les chroniqueurs comprennent vite ses enjeux exceptionnels (naissance d’une identité nationale française, apparition de la poudre sur le champ de bataille, épidémie de peste extrêmement meurtrière…) et narrent le combat de façon chronologique. Par la suite, les auteurs adopteront ce type d’écrit, à l’instar de Jean de Venette (1307- 1368) ou de Jean le Bel.
La chronique atteint son apogée en la personne de Froissart (1337-1410), le plus célèbre des chroniqueurs de cette période troublée. Il est décrit par l’historien Antonin Debidour comme un « bourgeois et lettré » ayant « la vocation et le tempérament d’un trouvère » (2).
Froissart était à la fois poète, chroniqueur et membre du clergé. Ses voyages en Angleterre, en France et dans le reste de l’Europe lui permettront d’écrire sur tous les hauts faits de la noblesse européenne et de faire le récit des événements ayant lieu sur le continent. Son écriture, plutôt neutre et d’une grande richesse littéraire et historique, est néanmoins romancée pour s’adapter aux goûts de ses contemporains et de ses mécènes.
« A l’écriture on reconnaît les mœurs », proverbe médiéval
La poésie du XIVe s. porte en elle de profonds changements. Elle abandonne la musicalité qui l’accompagnait (cithare, chant, etc.) permettant ainsi aux rimes et aux sons de se développer. Par ailleurs, la poésie embrasse son époque avec des poètes comme François Villon (1431-1485) ou Christine de Pizan (1364-1430) qui développent de nouveaux thèmes. Ainsi, Villon rendu célèbre par sa Ballade des Pendus, propose des vers centrés sur lui et ses malheurs, sujet novateur pour l’époque. Il écrit aussi sur des thèmes triviaux et reflète une époque de violence où la mort est omniprésente.
Plus classique, Christine de Pizan écrit de la poésie amoureuse comme ses Cent ballades d’amant et de dame, qui célèbrent l’amour courtois à une époque où l’idéal chevaleresque joue un rôle important dans la société.
Le succès de la prose
Bien qu’existant déjà , la prose eut un succès grandissant sous la guerre de Cent Ans. On voit entre autres apparaître la biographie, genre nouveau destiné à raconter la vie d’un personnage historique. Christine de Pizan, elle, utilise la prose à d’autres fins. Elle défend un nouveau combat politique : le féminisme. Cette poétesse, écrivaine puis conseillère politique fut la première femme à vivre de son travail d’écriture mais aussi à défendre les droits des femmes notamment via La cité des Dames (1405) dans lequel elle répond aux traités misogynes, courants à son époque. Cependant, comme le dit l’historienne Françoise Autrand dans son ouvrage, Christine de Pizan : une femme en politique, « elle veut seulement ouvrir le[s] yeux [des femmes] sur le rôle qu’elles jouent dans la société » (3).
A partir de la seconde moitié du XIVe s., le roman se détache de l’idéal courtois. On le voit notamment dans le roman d’Antoine de la Sale, Jehan de Saintré, publié en 1456, qui remet en cause la chevalerie et le pouvoir des armes au profit de l’art oratoire, ce qui préfigure la Renaissance.
En conclusion, la littérature de la guerre de Cent Ans est d’une grande richesse, et ce malgré les a priori émis par Rabelais et son siècle. Comme le dit si bien la médiéviste Jacqueline Cerquiglini-Toulet : « Le Moyen Age a chanté comme les oiseaux, écrit à toutes les mains, sur tout support, jusqu’au plâtre de la tombe de Villon, (…), avec du sang, avec de l’encre, avec du charbon » (4). La fin du Moyen-Age est une période charnière pour les arts et voit apparaître quelques nouveautés. Les artistes commencent par exemple à signer leurs œuvres, annonçant ainsi la Renaissance.
(1) RABELAIS François, Pantagruel, «Lettres à Pantagruel»
(2) Antonin, Les Chroniqueurs, édition Slatkine Reprints, Genève, 1980, page 19, chap.II
(3) AUTRAND Françoise ,Christine de Pizan p 410
(4) CERQUIGLINI-TOULET J., in La littérature française Tome I, p 204
Pour aller plus loin : Vous pouvez lire les Å“uvres citées en bibliographie et les Å“uvres des auteurs évoqués dans l’article. Ces livres font l’objet de rééditions commentées en français moderne ou bilingue moyen français/français moderne.
Sources:
A. Debidour, Les chroniqueurs, 1980, pp. 8-130
J. Calvet, Manuel illustrée d’histoire de la littérature française, édition De Gigort, Paris, 1927, pp. 93-100
J. Boudout, Ch. Des Granges, Histoire de la littérature française, édition Hatier, Paris, 1962, pp. 163-174
J. Cerquigny-Toulet, F. Lestringeant, G. Forestier, E. Bury, sous la direction de J-Y Tadié, La littérature française, Tome 1, Paris édition Folio, page 204
P. Zuthor, Essai de poétique médiévale, édition du Seuil, 1972, pp. 83-126, 229-263, 537-550
E. Baugmartner, Histoire de la littérature française, Moyen-Âge, 1050-1486, pp. 178-179
F. Autrand, Christine de Pizan, édition Fayard, 2009
Lucas Bertrand