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Partir au front

22/11/2020 | by HERITAGES_OFF

« Partir au front ». Voici un sujet peu abordé dans l’écriture de l’histoire sur la Première guerre mondiale. Si les combats sont toujours très bien décrits, l’aller-simple vers la mort, pour nombre d’hommes, n’est pas souvent étudié. Comment atteignent-ils l’est de la France, ou les autres différents fronts européens soutenus par la France ? Mais surtout, dans quel état d’esprit les soldats partent à la guerre ? Sont-ils si enthousiastes comme tentent de le faire croire les médias de l’époque à l’opinion publique ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre. Nous avons quelques itinéraires afin d’analyser la manière dont ils se dirigent vers le front.

La mobilisation : partir à la guerre !

Soldats britanniques partant au front

Le samedi 1eraoût 1914, la mobilisation générale est appliquée dans toute la France. Le pays entre dans une sorte « d’état d’urgence » militaire. Dans toutes les communes françaises, une affiche conservée à la mairie est placardée sur la place publique ou sur les portes de la maison commune : « Mobilisation générale ». Mais la guerre n’est pas encore déclarée. Certains ont espoir qu’elle ne sera pas déclenchée ; d’autres savent que cette mobilisation est en préparation d’un conflit[1].

Si le premier jour de mobilisation est décrété le dimanche 2 août, certains Français ont déjà rejoint leur régiment la veille, jour de la proclamation de la mobilisation. C’est le cas, par exemple, du cavalier Maurice Barret[2], appartenant au 4èmerégiment de Cuirassiers, arrivé le 1eraoût au régiment. D’autres arrivent plus tard encore, soit le 3èmejour du mois d’août, comme Maurice Faure[3], attaché au 1erDépôt des Équipages de la Flotte, et probablement loin de son domicile au moment de la mobilisation, d’où ce retard autorisé par le fascicule de mobilisation que possède chaque Français mobilisable. 

Les soldats en âge de combattre, âgés de 21 à 48 ans, sont appelés à rejoindre leur lieu de mobilisation, qui diffère selon le domicile de l’individu. Une fois réunis, lesrégiments doivent alors se rendre en gare, les soldats en tenue militaire, dans des wagons surchargés, en partance vers les frontières. Ils sont alors des centaines de milliers d’hommes à rejoindre l’est de la France, en sachant depuis le 3 août que la guerre est déclarée. Comme en 1870, la France devra combattre une nouvelle fois les Allemands.

Fleur au fusil ou larme à l’œil ?

Le départ au front vécu par les françaises et les français

Lors de la mobilisation, le 1eraoût 1914 et les jours suivants, l’état d’esprit est divers et varié. On a longtemps cru au mythe de la « fleur au fusil », équivalent populaire de l’Union sacrée. Or depuis les années 1960, des études historiques comme celle de Jean-Jacques Becker ont démontré que l’atmosphère n’était pas aussi festive, et que les élans patriotiques étaient plus mitigés. On peut par exemple distinguer les réactions des villes, mieux informées grâce à la presse, de celles des campagnes. On voit en ville de nombreux élans patriotiques très tôt, et parfois des violences xénophobes contre les magasins aux noms allemands, comme la brasserie Muller à Paris. Dans les campagnes en revanche, la nouvelle est accueillie avec une certaine stupeur et beaucoup de résignation.

Le Ministre de l’Education nationale de l’époque, M. Albert Sarraut, demanda aux instituteurs de tenir durant la guerre un journal sur l’état d’esprit des français. Ces journaux sont de précieuses sources. Ainsi dans la Drôme, à Nyons, l’instituteur M. Roux témoigne : « la population, quoique préparée depuis plusieurs jours à la guerre par la presse, apprit la fâcheuse nouvelle avec une sorte de stupeur. J’ai vu quelques femmes pleurer. Les hommes avaient l’air triste, mais décidé[4]. » Il semble en effet que passées les premières réactions d’assommement, un élan patriotique ait eu lieu, renforcé encore par le sentiment de défendre sa terre natale, la guerre ayant été déclarée par l’Allemagne. C’est donc, somme toute, à la fois surpris et résolus que les conscrits de 1914 s’embarquent pour le front durant le mois d’août. 

Les différentes classes mobilisées les années suivantes l’ont été dans un état d’esprit de plus en plus dégradé par la longueur de la guerre, les privatisations à l’arrière et les informations sur la vie dans les tranchées. Ainsi certains préfèrent se porter volontaires avant l’âge de la conscription, ce qui leur permet de choisir leur arme ; ils préfèrent l’artillerie ou la marine à l’infanterie, dont la mortalité est bien plus élevée. 

Partis au front 

 

Ce sont au total 3 780 000 français qui sont mobilisés en quelques jours, et 8 410 000 sur l’ensemble de la guerre, dont 7% issus des colonies. Si les conditions matérielles de la mobilisation (rassemblement, puis transport jusqu’au front) n’ont pas considérablement changé au cours des quatre années de guerre, l’état d’esprit de beaucoup de français,déterminés à défendre leur sol en 1914, s’est progressivement détérioré. Lorsque survient l’Armistice, le 11 novembre 1918, la France est épuisée, et pour longtemps ; ce qui fait dire à l’historien Maurice Agulhon que les années suivantes, la France est « malade de la Guerre ».

Pour aller plus loin

Par Emilien Vaille et Paul Morelli

« Partir au front Â». Voici un sujet peu abordé dans l’écriture de l’histoire sur la Première guerre mondiale. Si les combats sont toujours très bien décrits, l’aller-simple vers la mort, pour nombre d’hommes, n’est pas souvent étudié. Comment atteignent-ils l’est de la France, ou les autres différents fronts européens soutenus par la France ? Mais surtout, dans quel état d’esprit les soldats partent à la guerre ? Sont-ils si enthousiastes comme tentent de le faire croire les médias de l’époque à l’opinion publique ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre. Nous avons quelques itinéraires afin d’analyser la manière dont ils se dirigent vers le front.

La mobilisation : partir à la guerre !

Soldats britanniques partant au front

Le samedi 1eraoût 1914, la mobilisation générale est appliquée dans toute la France. Le pays entre dans une sorte « d’état d’urgence Â» militaire. Dans toutes les communes françaises, une affiche conservée à la mairie est placardée sur la place publique ou sur les portes de la maison commune : « Mobilisation générale Â». Mais la guerre n’est pas encore déclarée. Certains ont espoir qu’elle ne sera pas déclenchée ; d’autres savent que cette mobilisation est en préparation d’un conflit[1].

Si le premier jour de mobilisation est décrété le dimanche 2 août, certains Français ont déjà rejoint leur régiment la veille, jour de la proclamation de la mobilisation. C’est le cas, par exemple, du cavalier Maurice Barret[2], appartenant au 4èmerégiment de Cuirassiers, arrivé le 1eraoût au régiment. D’autres arrivent plus tard encore, soit le 3èmejour du mois d’août, comme Maurice Faure[3], attaché au 1erDépôt des Équipages de la Flotte, et probablement loin de son domicile au moment de la mobilisation, d’où ce retard autorisé par le fascicule de mobilisation que possède chaque Français mobilisable. 

Les soldats en âge de combattre, âgés de 21 à 48 ans, sont appelés à rejoindre leur lieu de mobilisation, qui diffère selon le domicile de l’individu. Une fois réunis, lesrégiments doivent alors se rendre en gare, les soldats en tenue militaire, dans des wagons surchargés, en partance vers les frontières. Ils sont alors des centaines de milliers d’hommes à rejoindre l’est de la France, en sachant depuis le 3 août que la guerre est déclarée. Comme en 1870, la France devra combattre une nouvelle fois les Allemands.

Fleur au fusil ou larme à l’œil ?

Le départ au front vécu par les françaises et les français

Lors de la mobilisation, le 1eraoût 1914 et les jours suivants, l’état d’esprit est divers et varié. On a longtemps cru au mythe de la « fleur au fusil Â», équivalent populaire de l’Union sacrée. Or depuis les années 1960, des études historiques comme celle de Jean-Jacques Becker ont démontré que l’atmosphère n’était pas aussi festive, et que les élans patriotiques étaient plus mitigés. On peut par exemple distinguer les réactions des villes, mieux informées grâce à la presse, de celles des campagnes. On voit en ville de nombreux élans patriotiques très tôt, et parfois des violences xénophobes contre les magasins aux noms allemands, comme la brasserie Muller à Paris. Dans les campagnes en revanche, la nouvelle est accueillie avec une certaine stupeur et beaucoup de résignation.

Le Ministre de l’Education nationale de l’époque, M. Albert Sarraut, demanda aux instituteurs de tenir durant la guerre un journal sur l’état d’esprit des français. Ces journaux sont de précieuses sources. Ainsi dans la Drôme, à Nyons, l’instituteur M. Roux témoigne : Â« la population, quoique préparée depuis plusieurs jours à la guerre par la presse, apprit la fâcheuse nouvelle avec une sorte de stupeur. J’ai vu quelques femmes pleurer. Les hommes avaient l’air triste, mais décidé[4]. Â» Il semble en effet que passées les premières réactions d’assommement, un élan patriotique ait eu lieu, renforcé encore par le sentiment de défendre sa terre natale, la guerre ayant été déclarée par l’Allemagne. C’est donc, somme toute, à la fois surpris et résolus que les conscrits de 1914 s’embarquent pour le front durant le mois d’août. 

Les différentes classes mobilisées les années suivantes l’ont été dans un état d’esprit de plus en plus dégradé par la longueur de la guerre, les privatisations à l’arrière et les informations sur la vie dans les tranchées. Ainsi certains préfèrent se porter volontaires avant l’âge de la conscription, ce qui leur permet de choisir leur arme ; ils préfèrent l’artillerie ou la marine à l’infanterie, dont la mortalité est bien plus élevée. 

Partis au front 

Ce sont au total 3 780 000 français qui sont mobilisés en quelques jours, et 8 410 000 sur l’ensemble de la guerre, dont 7% issus des colonies. Si les conditions matérielles de la mobilisation (rassemblement, puis transport jusqu’au front) n’ont pas considérablement changé au cours des quatre années de guerre, l’état d’esprit de beaucoup de français,déterminés à défendre leur sol en 1914, s’est progressivement détérioré. Lorsque survient l’Armistice, le 11 novembre 1918, la France est épuisée, et pour longtemps ; ce qui fait dire à l’historien Maurice Agulhon que les années suivantes, la France est « malade de la Guerre Â».


Pour aller plus loin :

Par Emilien Vaille et Paul Morelli