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Philippe d’Orléans, le « débauché » qui voulait devenir roi ?

by HERITAGES_OFF

LÉGITIMER LA RÉGENCE

En 1715, le Roi-Soleil s’éteint, laissant comme successeur naturel son arrière-petit-fils Louis XV encore enfant. Mais à la mort du roi, le royaume, ruiné et épuisé par les guerres, se retrouve dans une position délicate. Il doit être stabilisé au plus vite pour ne pas tomber dans la guerre civile, le testament de Louis XIV n’étant pas suffisant pour assurer la stabilité du royaume.

Un homme légitime, par sa lignée et par son rang, était donc nécessaire pour gouverner la France en attendant la majorité de Louis XV. C’est pourquoi au lendemain de la mort du roi, et après quelques manigances, le Parlement de Paris annule le testament de Louis XIV dont le contenu limitait les pouvoirs du futur Régent (tuteur d’un roi mineur). Deux semaines plus tard, un lit de justice présidé par le jeune roi officialise et légitime la Régence de Philippe d’Orléans.

En effet, en cette année 1715, le testament du Roi-Soleil n’est pas favorable à son neveu. Se méfiant de ce dernier, le vieux roi fait tout pour limiter son influence au profit de ses enfants « bâtards », les ducs du Maine et de Toulouse. Paria à la cour, objet de rumeurs, Philippe d’Orléans n’est pas destiné à gouverner librement le royaume. Son pouvoir devait être limité par un Conseil de Régence composé entre autres d’anciens ministres du roi et de ses fils « légitimés ». Ce ne fut pas le cas. Par l’annulation du testament de son oncle et par le lit de justice du 12 septembre, Philippe d’Orléans se retrouve « en apparence, maître absolu du pouvoir ».

Cette période charnière, longtemps fustigée et minimisée, a permis d’assurer la transition entre deux règnes. La figure du régent et ses mœurs libertines ont souvent fait de l’ombre à l’important travail de réformes de ce dernier et à la stabilité qu’il a pu apporter à ce début de règne mouvementé.

« LA LÉGENDE NOIRE DE PHILIPPE D’ORLÉANS »

Lorsque l’on évoque la Régence, on pense bien souvent aux « fêtes galantes » de Watteau, aux « badinages amoureux » de Marivaux, aux petits soupers du Palais Royal présentés bien souvent comme des orgies romaines, à la création du bal masqué de l’Opéra. Une « période légère et insouciante», libertine, immortalisée par le film de Bertrand Tavernier Que la fête commence en 1974. La période de la Régence marque en effet une rupture avec la fin de règne de Louis XIV au lourd cérémonial versaillais et « à l’écrasante dévotion imposée à la cour par Mme de Maintenon».

Quant à Philippe d’Orléans, il a 41 ans et une réputation d’adultérin (il a de nombreuses maîtresses) et de libertin, bien connue de ses contemporains. Alors que sa mère et certains de ses alliés comme le duc de Saint-Simon s’en lamentent, ses ennemis, notamment le duc et la duchesse du Maine, s’en servent pour le décrédibiliser. Rumeurs et ragots se répandent dans la population à travers poèmes et chansons. Parmi les différentes accusations lancées contre le duc, on en trouve trois ou quatre qui reviennent assez souvent. Impie, incestueux, empoisonneur, trop ambitieux, voilà ce que l’on reproche au duc. 

Le duc est impie pour son mépris de la religion et pour son goût pour l’occultisme et l’ésotérisme. Il est incestueux pour le trop grand amour qu’il porte à sa fille aînée, Marie- Louise-Elisabeth, duchesse de Berry (1695-1719) à qui il passe tous ses caprices. Le duc est trop ambitieux car il souhaiterait secrètement devenir roi, utilisant pour cela des poisons. La fascination du Régent pour la chimie et les différentes expériences scientifiques faites au Palais-Royal font parler. D’autre part, le mariage de sa fille aînée avec le duc de Berry, troisième petit-fils de Louis XIV, et les morts successives au cours de l’année 1711-1712 du Grand Dauphin (fils de Louis XIV), de son fils et de sa belle-fille (le duc et la duchesse de Bourgogne) ainsi que de son petit-fils, frère aîné du futur Louis XV rendent le duc suspect de meurtres aux yeux de la cour et d’une partie de la population.

La santé et la sécurité du roi sont constamment remises en question alors que parallèlement dans les Gazettes et journaux officiels de l’époque, on parle beaucoup moins de Philippe d’Orléans. Il est réduit à son rôle de régent, un régent qui ne cherche pas à usurper la place du roi.

D’UNE RÉGENCE LIBÉRALE À UNE RÉGENCE AUTORITAIRE

Paradoxalement à cette légende noire qui le poursuit, Philippe d’Orléans aura à cœur de rénover et de renforcer la monarchie, « d’assurer la paix du royaume et de réduire la dette».

La polysynodie

Le début de la Régence est marqué par une certaine tolérance dans le domaine religieux et  dédié à la réorganisation du gouvernement. C’est la création de la polysynodie. Ce nouveau gouvernement se compose de sept conseils : le Conseil de Régence, le Conseil de conscience (affaires religieuses), le Conseil des affaires étrangères, le Conseil du dedans (équivalent du Ministère de l’Intérieur), le Conseil de la guerre, le Conseil de la marine et le Conseil des finances. Le Conseil de Régence est l’organe central du pouvoir. Il prend les décisions. Les six autres conseils ont pour fonction principale la gestion et l’administration du royaume. 

Cette organisation novatrice en France ne durera que trois ans, de 1715 à 1718. Elle marque le retour de l’aristocratie de Cour (Princes du sang, ducs, etc.) dans la vie politique du royaume et permet au Régent d’assurer une certaine stabilité intérieure. Alliés comme ennemis du duc sont invités à participer à ces conseils. Cependant, ce type de gouvernement fut vivement critiqué pour la lourdeur de son administration et son inefficacité apparente. Le déclin de cette expérience étant dû principalement à l’hostilité à la politique financière et extérieure menée par le Régent.

Le système de Law

Le système bancaire de Law est un autre événement marquant de la Régence. Cet écossais, installé en France, créé en 1716 une banque privée émettant des billets de monnaie. Cette banque propose d’échanger de la monnaie métallique (pièces d’or ou d’argent) contre de la monnaie papier de même valeur afin de favoriser la circulation commerciale. En 1718, la banque devient « Banque royale », ce qui entraîne l’apparition d’un important mouvement spéculatif. Ce dernier atteint ses limites deux ans plus tard, provoquant un vent de panique et la ruine de nombreux particuliers (notamment les rentiers) ainsi que la fuite de Law à Bruxelles. Malgré les jugements négatifs de l’époque, le système de Law aura aussi eu pour conséquences la réduction des dettes de l’Etat (dettes héritées de Louis XIV) et l’essor du commerce outre-Atlantique.

Une régence plus autoritaire

L’année 1718 marque également un tournant dans la politique du Régent. Pour légitimer sa Régence, Philippe d’Orléans avait dû négocier avec le Parlement de Paris. Les concessions faites lors de ces négociations, comme la tolérance religieuse pour les jansénistes (courant de pensée condamné par le pape) et le droit de remontrances (droit de contester les lois soumises par le roi avant leur validation) pour le Parlement, sont révoquées. Un régime plus autoritaire se met en place. Il faut ajouter à cela que la politique extérieure du Régent, qui en signant un traité d’alliance avec l’Angleterre et les Provinces-Unies, rompt radicalement avec la politique extérieure de Louis XIV.

Cela provoque, à l’intérieur du royaume, un mécontentement nobiliaire. Un complot, orchestré par la duchesse du Maine et par l’ambassadeur d’Espagne, le prince de Cellamare, vise à renverser le Régent et à le remplacer par Philippe V d’Espagne, second petit-fils de Louis XIV. Il n’aboutira pas, renforçant le pouvoir du Régent. Il sera d’ailleurs utilisé pour déclarer la guerre à l’Espagne.

Le 25 octobre 1722, Louis XV est sacré roi de France dans la cathédrale de Reims. Quelques mois plus tard, le 15 février 1723, le roi devient majeur mettant, en théorie, un terme à la Régence de Philippe d’Orléans. Le conseil de Régence est remplacé par le conseil du roi mais Philippe d’Orléans et son premier ministre Dubois continuent d’exercer une bonne partie de leurs fonctions jusqu’à leur mort. Philippe d’Orléans, meurt le 2 décembre 1723, laissant à Louis XV « un royaume en bon état de marche, qui a réussi le passage d’un état de guerre surendetté à un état de paix ».

Sources

CORNETTE Joël, Absolutisme et Lumières 1652-1783, Paris, Hachette, 2016.

DUPILET Alexandre, Le Régent : Philippe d’Orléans, l’héritier du Roi-Soleil, Paris, Tallandier, 2020.

LE ROY LADURIE, Saint-Simon ou le système de la Cour, Paris, Fayard, 1997. PETITFILS Jean-Christian, Louis XV, Paris, Fayard, 1986.

REYNAUD Denis et THOMAS Chantal (dir.), Le Régent entre fable et histoire, Paris, CNRS Editions, 2003.

ZYSBERG André, Nouvelle histoire de la France moderne. La Monarchie des Lumières (1715-1786), Paris, Points, 2014.

Quelques idées lecture :

DE CASTRO Ève, Nous serons comme des dieux, Paris, Albin Michel, 1996.

DUMAS Alexandre, Le chevalier d’Harmental, Paris, Phébus, 2010.

Légitimer la Régence

En 1715, le Roi-Soleil s’éteint, laissant comme successeur naturel son arrière-petit-fils Louis XV encore enfant. Mais à la mort du roi, le royaume, ruiné et épuisé par les guerres, se retrouve dans une position délicate. Il doit être stabilisé au plus vite pour ne pas tomber dans la guerre civile, le testament de Louis XIV n’étant pas suffisant pour assurer la stabilité du royaume.

Un homme légitime, par sa lignée et par son rang, était donc nécessaire pour gouverner la France en attendant la majorité de Louis XV. C’est pourquoi au lendemain de la mort du roi, et après quelques manigances, le Parlement de Paris annule le testament de Louis XIV dont le contenu limitait les pouvoirs du futur Régent (tuteur d’un roi mineur). Deux semaines plus tard, un lit de justice présidé par le jeune roi officialise et légitime la Régence de Philippe d’Orléans.

En effet, en cette année 1715, le testament du Roi-Soleil n’est pas favorable à son neveu. Se méfiant de ce dernier, le vieux roi fait tout pour limiter son influence au profit de ses enfants « bâtards », les ducs du Maine et de Toulouse. Paria à la cour, objet de rumeurs, Philippe d’Orléans n’est pas destiné à gouverner librement le royaume. Son pouvoir devait être limité par un Conseil de Régence composé entre autres d’anciens ministres du roi et de ses fils « légitimés ». Ce ne fut pas le cas. Par l’annulation du testament de son oncle et par le lit de justice du 12 septembre, Philippe d’Orléans se retrouve « en apparence, maître absolu du pouvoir ».

Cette période charnière, longtemps fustigée et minimisée, a permis d’assurer la transition entre deux règnes. La figure du régent et ses mœurs libertines ont souvent fait de l’ombre à l’important travail de réformes de ce dernier et à la stabilité qu’il a pu apporter à ce début de règne mouvementé.

« La légende noire de Philippe d’Orléans »

Lorsque l’on évoque la Régence, on pense bien souvent aux « fêtes galantes » de Watteau, aux « badinages amoureux » de Marivaux, aux petits soupers du Palais Royal présentés bien souvent comme des orgies romaines, à la création du bal masqué de l’Opéra. Une « période légère et insouciante», libertine, immortalisée par le film de Bertrand Tavernier Que la fête commence en 1974. La période de la Régence marque en effet une rupture avec la fin de règne de Louis XIV au lourd cérémonial versaillais et « à l’écrasante dévotion imposée à la cour par Mme de Maintenon».

Quant à Philippe d’Orléans, il a 41 ans et une réputation d’adultérin (il a de nombreuses maîtresses) et de libertin, bien connue de ses contemporains. Alors que sa mère et certains de ses alliés comme le duc de Saint-Simon s’en lamentent, ses ennemis, notamment le duc et la duchesse du Maine, s’en servent pour le décrédibiliser. Rumeurs et ragots se répandent dans la population à travers poèmes et chansons. Parmi les différentes accusations lancées contre le duc, on en trouve trois ou quatre qui reviennent assez souvent. Impie, incestueux, empoisonneur, trop ambitieux, voilà ce que l’on reproche au duc. 

Le duc est impie pour son mépris de la religion et pour son goût pour l’occultisme et l’ésotérisme. Il est incestueux pour le trop grand amour qu’il porte à sa fille aînée, Marie- Louise-Elisabeth, duchesse de Berry (1695-1719) à qui il passe tous ses caprices. Le duc est trop ambitieux car il souhaiterait secrètement devenir roi, utilisant pour cela des poisons. La fascination du Régent pour la chimie et les différentes expériences scientifiques faites au Palais-Royal font parler. D’autre part, le mariage de sa fille aînée avec le duc de Berry, troisième petit-fils de Louis XIV, et les morts successives au cours de l’année 1711-1712 du Grand Dauphin (fils de Louis XIV), de son fils et de sa belle-fille (le duc et la duchesse de Bourgogne) ainsi que de son petit-fils, frère aîné du futur Louis XV rendent le duc suspect de meurtres aux yeux de la cour et d’une partie de la population.

La santé et la sécurité du roi sont constamment remises en question alors que parallèlement dans les Gazettes et journaux officiels de l’époque, on parle beaucoup moins de Philippe d’Orléans. Il est réduit à son rôle de régent, un régent qui ne cherche pas à usurper la place du roi.

D’une régence libérale à une régence autoritaire

Paradoxalement à cette légende noire qui le poursuit, Philippe d’Orléans aura à cœur de rénover et de renforcer la monarchie, « d’assurer la paix du royaume et de réduire la dette».

La polysynodie

Le début de la Régence est marqué par une certaine tolérance dans le domaine religieux et  dédié à la réorganisation du gouvernement. C’est la création de la polysynodie. Ce nouveau gouvernement se compose de sept conseils : le Conseil de Régence, le Conseil de conscience (affaires religieuses), le Conseil des affaires étrangères, le Conseil du dedans (équivalent du Ministère de l’Intérieur), le Conseil de la guerre, le Conseil de la marine et le Conseil des finances. Le Conseil de Régence est l’organe central du pouvoir. Il prend les décisions. Les six autres conseils ont pour fonction principale la gestion et l’administration du royaume. 

Cette organisation novatrice en France ne durera que trois ans, de 1715 à 1718. Elle marque le retour de l’aristocratie de Cour (Princes du sang, ducs, etc.) dans la vie politique du royaume et permet au Régent d’assurer une certaine stabilité intérieure. Alliés comme ennemis du duc sont invités à participer à ces conseils. Cependant, ce type de gouvernement fut vivement critiqué pour la lourdeur de son administration et son inefficacité apparente. Le déclin de cette expérience étant dû principalement à l’hostilité à la politique financière et extérieure menée par le Régent.

Le système de Law

Le système bancaire de Law est un autre événement marquant de la Régence. Cet écossais, installé en France, créé en 1716 une banque privée émettant des billets de monnaie. Cette banque propose d’échanger de la monnaie métallique (pièces d’or ou d’argent) contre de la monnaie papier de même valeur afin de favoriser la circulation commerciale. En 1718, la banque devient « Banque royale », ce qui entraîne l’apparition d’un important mouvement spéculatif. Ce dernier atteint ses limites deux ans plus tard, provoquant un vent de panique et la ruine de nombreux particuliers (notamment les rentiers) ainsi que la fuite de Law à Bruxelles. Malgré les jugements négatifs de l’époque, le système de Law aura aussi eu pour conséquences la réduction des dettes de l’Etat (dettes héritées de Louis XIV) et l’essor du commerce outre-Atlantique.

Une régence plus autoritaire

L’année 1718 marque également un tournant dans la politique du Régent. Pour légitimer sa Régence, Philippe d’Orléans avait dû négocier avec le Parlement de Paris. Les concessions faites lors de ces négociations, comme la tolérance religieuse pour les jansénistes (courant de pensée condamné par le pape) et le droit de remontrances (droit de contester les lois soumises par le roi avant leur validation) pour le Parlement, sont révoquées. Un régime plus autoritaire se met en place. Il faut ajouter à cela que la politique extérieure du Régent, qui en signant un traité d’alliance avec l’Angleterre et les Provinces-Unies, rompt radicalement avec la politique extérieure de Louis XIV.

Cela provoque, à l’intérieur du royaume, un mécontentement nobiliaire. Un complot, orchestré par la duchesse du Maine et par l’ambassadeur d’Espagne, le prince de Cellamare, vise à renverser le Régent et à le remplacer par Philippe V d’Espagne, second petit-fils de Louis XIV. Il n’aboutira pas, renforçant le pouvoir du Régent. Il sera d’ailleurs utilisé pour déclarer la guerre à l’Espagne.

Le 25 octobre 1722, Louis XV est sacré roi de France dans la cathédrale de Reims. Quelques mois plus tard, le 15 février 1723, le roi devient majeur mettant, en théorie, un terme à la Régence de Philippe d’Orléans. Le conseil de Régence est remplacé par le conseil du roi mais Philippe d’Orléans et son premier ministre Dubois continuent d’exercer une bonne partie de leurs fonctions jusqu’à leur mort. Philippe d’Orléans, meurt le 2 décembre 1723, laissant à Louis XV « un royaume en bon état de marche, qui a réussi le passage d’un état de guerre surendetté à un état de paix ».

Sources

CORNETTE Joël, Absolutisme et Lumières 1652-1783, Paris, Hachette, 2016.

DUPILET Alexandre, Le Régent : Philippe d’Orléans, l’héritier du Roi-Soleil, Paris, Tallandier, 2020.

LE ROY LADURIE, Saint-Simon ou le système de la Cour, Paris, Fayard, 1997. PETITFILS Jean-Christian, Louis XV, Paris, Fayard, 1986.

REYNAUD Denis et THOMAS Chantal (dir.), Le Régent entre fable et histoire, Paris, CNRS Editions, 2003.

ZYSBERG André, Nouvelle histoire de la France moderne. La Monarchie des Lumières (1715-1786), Paris, Points, 2014.

Quelques idées lecture :

DE CASTRO Ève, Nous serons comme des dieux, Paris, Albin Michel, 1996.

DUMAS Alexandre, Le chevalier d’Harmental, Paris, Phébus, 2010.