Héritages

Un XVIIIème siècle académique

Au début du XVIIIème siècle, la France est au plus haut de sa gloire en Europe. Après le long règne de Louis XIV et l’enracinement de la cour à Versailles, elle est devenue un modèle pour les souverains étrangers et une référence en matière d’art. La production artistique française du XVIIème siècle dépendait de ce que prônait l’Académie de peinture et de sculpture, fondée en 1648 et intimement liée au pouvoir monarchique. Celle-ci acceptait une certaine définition du beau, découlant des maîtres de la renaissance et de l’antiquité, que les arts devaient atteindre. La peinture sous Louis XIV est ainsi marquée par un amour du classicisme et de la peinture d’histoire, considérée comme le genre le plus noble par l’Académie. Ce système conserve une importance prépondérante au XVIIIème siècle, guidant les artistes dans leur apprentissage, leur carrière et le choix de leurs sujets. Si elle ne remet pas en cause le modèle académique, la peinture de la période Louis XV représente toutefois un tournant et matérialise la quête de légèreté d’une époque troublée.

Le crucifix aux anges, Charles Lebrun, 1661, Louvre. Cette œuvre est une commande d’Anne d’Autriche pour orner son appartement d’hiver. Elle est un bon exemple de l’art officiel et classique en vogue sous Louis XIV.

Du « barocco » au « rococo »

Avec le début de la régence en 1715, l’aristocratie est marquée par le goût d’une liberté retrouvée après le crépuscule du Roi Soleil. Les mœurs aristocrates s’allègent sous la tutelle de Philippe d’Orléans puis sous le règne de Louis XV. Le libertinage, tant la pensée philosophique que le mode de vie hédoniste, séduisait de plus en plus la noblesse qui recherchait une certaine émancipation après cinquante ans d’absolutisme. Cela se traduit en peinture par l’expression d’une plus grande légèreté, penchant parfois dans la frivolité. Sous Louis XV, ce sont les couleurs pastel et chatoyantes qui dominent, agrémentées de courbes rocailles et d’un esprit galant cherchant à plaire. Aux solennités de Lebrun et de Poussin, on préfère désormais la préciosité de François Boucher, la gracieuseté de Fragonard et l’élégante nouveauté d’Antoine Watteau.

Vénus consolant l’amour, François Boucher, 1751, National Gallery, Washington DC. Le nu féminin, les couleurs pastel et le cadre idyllique sont caractéristiques du rococo. Le tableau a appartenu à Madame de Pompadour.

L’art de la période Louis XV fut surnommé en un mot péjoratif : « rococo », sans qu’une définition claire ne soit donnée à ce terme. Il est considéré comme une forme tardive du baroque, un courant né un siècle plus tôt dans l’Italie de la Contre-Réforme. On retient du rococo son aspect mondain et surchargé, mais c’est oublier qu’il fut aussi apprécié par les roturiers et qu’il questionne la hiérarchie des genres que l’Académie avait fixée. Le rococo touche à la peinture d’histoire tout en berçant dans la scène de genre et en sublimant le paysage. En témoigne d’ailleurs le genre de la « fête galante », qui joua un grand rôle dans l’expression d’un nouveau goût. Le rococo est aussi un style unique tirant son inspiration de la scène de genre hollandaise, de la vivacité des couleurs de Rubens et de l’onctuosité des chairs du Titien. Enfin, le rococo est une petite révolution car il est principalement soutenu par un mécénat privé, il fait l’objet de peu de commandes officielles. Le rococo dépeint ainsi la demande d’une nouvelle clientèle composée de gentilshommes, de philosophes et autres amateurs de curiosités.

La fête galante de Watteau : expression de l’esprit du XVIIIème

Faisant une entrée peu commune à l’Académie en 1717, Antoine Watteau est un des précurseurs de la peinture rococo qui eut tant de succès sous le règne de Louis XV. Malgré sa courte vie, il se rend le « maître des sérénités douces et des paradis tendres » selon les frères Goncourt, en incarnant le goût de son siècle. Antoine Watteau nait en 1684 à Valencienne, dans une famille d’artisans. Lorsqu’il déménage à Paris pour son apprentissage, il passe chez de nombreux maîtres et conjugue leurs influences dans ses travaux. De son enfance dans le nord, il retient la couleur vivace des peintures nordiques, que l’on retrouve dans ses tableaux chatoyants. La préparation parfois hâtive de ses toiles atteste de sa préférence pour le dessin, notamment ceux des vénitiens comme le Titien et Giorgione. Enfin, il s’éprend de théâtre et de la commedia dell’arte, dont il représente souvent les personnages.

Pierrot, Antoine Watteau, vers 1717-1718, Louvre. Personnage important de la comédie italienne, il est représenté avec mélancolie malgré son rôle de bouffon. Watteau invente t’il le clown triste ?

Le pèlerinage à l’île de Cythère, Antoine Watteau, 1717, Louvre.

Ces influences nombreuses, Antoine Watteau les combine dans un genre nouveau : « la fête galante ». En effet, l’Académie crée cette nouvelle catégorie lorsque le peintre présente, en 1717, le Pèlerinage à l’île de Cythère comme morceau de réception. Cette toile, aujourd’hui conservée au Louvre, mêle intelligemment la scène de genre (c’est-à-dire que les personnages sont anonymes) et la peinture d’histoire (grâce à des références mythologiques). Dans une nature enchanteresse, Watteau représente plusieurs couples élégants embarquant ou débarquant sur l’île de Cythère. Celle-ci, située dans la mer Egée, fut dédiée à Aphrodite et représente ainsi un lieu de plaisir et de volupté où se conte l’amour avec insouciance. Watteau peint et dessine ensuite de nombreuses fêtes galantes comme Les Plaisir du Bal ou Les Fêtes Vénitiennes, plongeant le spectateur dans un cadre enchanteur et irréel évoquant presque un Eden perdu. Ses personnages s’adonnant à des plaisirs galants ne représentent pas moins des aristocrates que des comédiens, car les gestes et les costumes sont directement inspirés par le théâtre. Ainsi, les fêtes galantes de Watteau représentent avec mélancolie des paradis illusoires et des délices éphémères, que recherche une aristocratie libertine dans une société en mutation.

Critique et déclin

La fête galante fit de nombreux adeptes parmi les peintres comme Pater, de Troy et Lancret. Le plus célèbre d’entre eux fut certainement Fragonard, qui représente une scène galante et polissonne dans Les Heureux Hasards de l’Escarpolette. Toutefois, lorsque Fragonard termine ce tableau en 1769, le genre est déjà en déclin. En effet, l’aspect frivole du rococo est de plus en plus critiqué à la fin du règne de Louis XV. Diderot critique par exemple, en 1761, les amateurs de Boucher « ceux qui sont étrangers au vrai goût, à la vérité, aux idées justes, à la sévérité de l’art ». Une réaction à l’art rococo était en train de poindre au sein de l’élite intellectuelle : le néoclassicisme. Prônant le retour à la rigueur antique et à la beauté noble, des théoriciens comme Winckelmann et des artistes comme David signent la fin d’une peinture libertine et indocile.

Les heureux hasard de l’escarpolette, Jean-Honoré Fragonard, 1767-1769, Wallace Collection, Londres. La scène représente un triangle amoureux entre un mari cocu et un amant comblé d’une vue sous les jupons de la demoiselle.

Pauline Dukers

Bibliographie et sitographie :

Grasselli, Margaret Morgan, François Moureau, Henry A. Millon, and Pierre Rosenberg. Antoine Watteau, 1684-1721, Le Peintre, Son Temps Et Sa Légende [colloque International, Paris, Grand Palais, Octobre 1984]. Paris Genève : Champion Slatkine, 1987. Print.

Marianne Roland Michel, « Watteau Antoine – (1684-1721) », Encyclopædia Universalis. Web.

Kimball, Fiske, and Jeanne Marie. Le Style Louis XV Origine Et évolution Du Rococo. Paris: Editions A. Et J. Picard Et Cie, 1949. Print.