by HERITAGES_OFF
Qui n’a jamais rêvé d’habiter dans un somptueux château tel que celui de Chambord ? François Ier a fait de ce rêve une réalité. Sa fascination pour les lettres et les arts fait de lui l’un des plus grands mécènes parmi les rois de France. En réalité, toutes ces œuvres architecturales que réalise le monarque tiennent surtout au fait que, pour François Ier, la grandeur d’un prince se mesure à l’importance des édifices qu’il fait construire. Il s’agit d’éblouir par la prestance des façades et la monumentalité de l’architecture. En trente-deux ans de règne, entre 1515 et 1547, François Ier construit ou rebâtit onze châteaux, que ce soit Amboise, Blois, Chambord, Villers-Cotterêts, Saint-Germain-en-Laye ou encore Fontainebleau… Il avait véritablement la folie des grandeurs ! Il y appose même systématiquement sa signature de manière bien visible en marquant les édifices par ses emblèmes : la salamandre, ou encore le « F » fleur-de-lysé. En réalité, les châteaux de François Iersont avant tout des châteaux d’apparat et de loisir, ils sont faits pour la chasse et la fête, pouvant accueillir une cour allant jusqu’à 15 000 personnes ! Dès lors, quelle architecture adopte François Ier pour briller à travers ses nombreux châteaux ? Observons-en quelques-uns d’un peu plus près…
Amboise, le château de sa jeunesse
Le château d’Amboise est la principale demeure royale au début du règne. C’est là que le jeune François grandit et se forme à gouverner. Le château est alors dans un style gothique flamboyant, puisqu’il a été en grande partie modifié par Charles VIII. C’est là que s’impose un petit point sur la généalogie royale en ce qui concerne la dynastie des Valois : Charles VIII meurt accidentellement en 1498, en se cognant la tête contre une porte un peu trop basse dans son tout nouveau château d’Amboise, alors qu’il n’est âgé que de 28 ans ! Puisqu’il est sans descendance, c’est son cousin Louis XII qui monte sur le trône. Le même schéma se reproduit lorsque celui-ci meurt en 1515 : il n’a pas d’héritier direct, et c’est donc son cousin d’Angoulême, le jeune François, qui lui succède.
Après son avènement sur le trône et l’éclatante victoire qu’il remporte à Marignan en septembre de la même année, le jeune souverain décide rapidement de faire embellir le château d’Amboise, la résidence royale. Il rehausse d’un étage l’aile Louis XII et fait décorer les lucarnes selon le « goût italien ». François Ierapprécie beaucoup Amboise, notamment parce que c’est là que la Reine Claude met au monde son premier fils, le premier héritier mâle. Pourtant, il va assez vite préférer d’autres demeures, notamment Blois, même s’il invite Léonard de Vinci à séjourner à Amboise, au Clos Lucé, pour être près de lui. N’oublions pas par ailleurs que les Valois sont des rois nomades, qui ne demeurent pas toute l’année dans le même château : François Ierséjourne quelques semaines à Amboise, avant de repartir dans d’autres provinces du royaume ou en campagnes militaires. La Cour change sans cesse de lieu selon les saisons, et c’est pourquoi tout le mobilier se doit d’être facilement transportable car on déplace absolument tout, jusqu’aux tentures des murs !
Blois, un château écléctique
Le château de Blois a la particularité de présenter des ailes de différentes époques et de différents styles… Un véritable cour d’Histoire de France inscrit dans la pierre ! François Iera lui aussi voulu marquer l’édifice à sa manière. Dès son avènement au trône en 1515, il se préoccupe de faire reconstruire le vieux logis considéré comme démodé, alors qu’il n’a été construit que quinze ans plus tôt par son prédécesseur, le roi Louis XII, dans un style typiquement gothique flamboyant. Au fond, l’architecture c’est un peu comme la mode : ça change à toute vitesse, donc il faut sans cesse renouveler pour être à la page ! Mais plutôt que de détruire et reconstruire, François Ierdécide de continuer l’œuvre de son cousin, en prolongeant l’ensemble architectural par un bâtiment placé en équerre par rapport à l’aile Louis XII.
Crédits : site officiel du Chateau de Blois
Côté cour, cette aile François Ierse caractérise par une façade assez régulière, contrairement au style gothique flamboyant. On sent une certaine influence de l’architecture renaissante italienne, que le roi a eu l’occasion de découvrir lors de ses batailles en Italie : il commence à y avoir une certaine organisation de la façade avec notamment une régularité dans l’ordonnancement des baies, également un souci de géométrisation à travers la symétrie, mais surtout on découvre l’utilisation du langage des ordres. Ce que l’on appelle le langage des ordres, c’est un langage architectural issu de l’Antiquité, notamment en ce qui concerne l’architecture des temples (ordre dorique, ordre ionique, ordre corinthien) qui suppose un ensemble de règles, de formes et de canons de proportions qui articulent de manière préétablie toutes les parties d’un édifice. Ce langage est remis au goût du jour dans l’Italie de la Renaissance lorsque l’on redécouvre les traités d’architecture antiques, tels que celui de Vitruve (et oui, le fameux homme de Vitruve dessiné par Léonard n’est en réalité qu’un exercice à partir des canons de proportions énoncés par cet architecte !). Ainsi, ces ordres architecturaux importés d’Italie par François Ierse lisent dans les pilastres de la façade avec des chapiteaux à volutes qui évoquent l’ordre ionique.
Cependant, si une influence italienne apparait clairement au premier regard, celle-ci ne s’immisce que tout doucement. Le décor architectural est appliqué sur des structures encore très françaises, à commencer par l’escalier colossal qui s’impose au cœur de la façade (à l’origine au centre, respectant ainsi un impératif de symétrie, qui désormais n’est plus à cause de la destruction partielle par Gaston d’Orléans pour construire son propre château au XVIIèmesiècle). Il s’agit d’un impressionnant escalier en vis – ce qui est une forme typiquement française – complètement ajouré et réduit à des piliers et des rambardes de pierre ouvragées. Cet escalier, offrant par son ouverture de multiples points de vue, est en réalité un escalier de parade pour non seulement voir mais surtout être vu grâce à ce système de petites loggia, de sorte que, lorsque François Iery monte, paré de ses plus beaux atours, il puisse se faire admirer de la Cour amassée en bas. Par ailleurs, un autre élément caractéristique de l’architecture française se trouve être les toitures à fortes pentes. En somme, à Blois, on combine des techniques françaises avec le langage des ordres et l’ornementation propres à l’architecture italienne. Il s’agit bien d’un bâtiment caractéristique de la première Renaissance française.
Façade des Loges par L. de Serres
Chambord, le chef d’oeuvre
Chambord est le seul château construit ex nihilo par François Ier, conçu de toute pièce par le souverain et dessiné par Léonard. Le chantier, qui commence dès 1515, s’étend jusqu’en 1550 à cause de certains arrêts et de difficultés rencontrées face à un projet si ambitieux. Cet ensemble monumental n’est réalisé que dans un seul but : éblouir la Cour et les hôtes prestigieux de passage, comme le roi Charles Quint. Ce n’est pas un lieu de pouvoir mais bien plutôt un lieu de plaisir, de fête et de chasse. En un mot, un lieu qui exalte la magnificence du règne de François Ier.
Laissons les mots d’Alfred de Vigny nous transporter vers les merveilles de Chambord :
« À quatre lieues de Blois, à une heure de la Loire, dans une petite vallée fort basse, entre des marais fangeux et un bois de grands chênes, loin de toutes les routes, on rencontre tout à coup un château royal ou plutôt magique. On dirait que, contraint par quelque lampe merveilleuse, un génie de l’Orient l’a enlevé pendant une des mille nuits, et l’a dérobé aux pays du soleil pour le cacher dans ceux du brouillard avec les amours d’un beau prince. Ce palais est enfoui comme un trésor ; mais à ses dômes bleus, à ses élégants minarets, arrondis sur de larges murs ou élancés dans l’air, à ses longues terrasses qui dominent les bois, à ses flèches légères que le vent balance, à ses croissants entrelacés partout sur les colonnades, on se croirait dans les royaumes de Bagdad ou de Cachemire, si les murs noircis, leurs tapis de mousse ou de lierre, et la couleur pâle et mélancolique du ciel, n’attestaient un pays pluvieux. Ce fut bien un génie qui éleva ces bâtiments mais il vint d’Italie et se nomma Le Primatice ; ce fut bien un beau prince dont les amours s’y cachèrent ; mais il était roi, et se nommait François Ier. » Cinq-Mars, 1826
Construire Chambord n’a pas été une mince affaire. Cela tient surtout au fait que le terrain est complètement marécageux, et demande des fondations solides avec un système de pilotis complexe. Mais c’est également l’ambition du projet qui complexifie sa réalisation : il s’agit d’un château immense, avec un plan organisé autour d’un espace central en croix, donc un plan raisonné qui recherche une symétrie parfaite. Il est conçu de manière très géométrique à travers des formes simples (carré, cercle, croix), mais surtout il se développe autour à partir du chiffre quatre (quatre tours, quatre côtés) qui n’est pas un chiffre anodin : il symbolise le chiffre cosmique (quatre saisons, quatre éléments, quatre points cardinaux…). Donc il y a une véritable recherche d’harmonie et de perfection universelleau cœur du projet de Chambord, qui illustre bien l’ambition de grandeur du souverain.
D’apparence, Chambord est un château typiquement français, avec ses tours rondes qui rappellent les châteaux forts médiévaux, ses hautes toitures avec des lucarnes ouvragées, son jeu de polychromie entre l’ardoise noire et la pierre blanche… Mais il abrite des innovations considérables et de véritables prouesses architecturales, telles que par exemple la voûte du vestibule, cette voûte en anse de panier quasiment horizontale qui représente un chef-d’œuvre technique parce que très compliquée à agencer, ou encore le fameux escalier central, pièce maîtresse de tout l’édifice. Cet escalier monumental conçu par Léonard a la particularité d’être à double révolution, au sens où il est constitué de deux escaliers en vis enroulés autour d’un noyau creux, ce qui constitue une véritable prouesse technique. Un ambassadeur de l’époque décrit l’effet produit en s’exprimant ainsi : « on monte et on descend sans jamais se rencontrer tout en se voyant à travers les fenêtres de l’escalier ! ». Bien pratique si l’on veut éviter de croiser un diplomate ou un grand de la Cour quand il y a des tensions dans la villa ! Là encore, comme à Blois, l’escalier constitue l’élément de parade autour duquel gravite le reste de l’édifice, car c’est là que se joue le paraître de la Cour. Cet escalier se termine au sommet par une lanterne, c’est-à-dire une cage vitrée qui fonctionne comme un belvédère, permettant d’admirer la vue alentour et surtout de suivre les parties de chasse à distance.
En somme, tous les aspects de Chambord, que ce soient les prouesses techniques déployées ou encore la monumentalité de l’ensemble architectural, visent à surprendre et étonner les visiteurs. Et c’est pourquoi François Ier, afin de sans cesse rappeler qui est le maître des lieux, affiche partout les emblèmes royaux, les monogrammes F et C et surtout la salamandre couronnée. Pourquoi la salamandre ?A cette époque, une croyance veut que la salamandre soit capable de vivre dans le feu, à la fois de l’allumer et de l’éteindre, ce qu’explicite la devise de François Ier « Nutrisco et extinguo » (« je le nourris et je l’éteins »). Encore un moyen d’impressionner ses compatriotes !
Fontainebleau, le château des arts
Galerie de Diane du Château de Fontainebleau – Crédit Château de Fontainebleau
Quittons un peu les bords de Loire pour aller un peu plus au nord, au château de Fontainebleau. Les premiers travaux de celui-ci commencent un peu plus tardivement, seulement en 1528. En effet, un tournant s’est opéré dans le règne de François Ier avec ladéfaite de Pavie en 1525 où François Ier est fait prisonnier par Charles Quint, et doit signer un traité humiliant où il renonce à ses prétentions sur l’Italie. Il envoie même ses 2 fils en otages à sa place ! Les choses changent également car en 1530, il doit épouser en seconde noce la sœur de Charles Quint, Eléonore d’Autriche. A son retour donc, il s’attèle au chantier de Fontainebleau, qui va devenir sa résidence d’hiver principalement.
Il y avait déjà un édifice castral à cet endroit, et le souverain décide de conserver cette base médiévale tout en l’enrichissant d’un corps de logis au goût du jour et de deux grandes galeries. Le tout aboutit à un château absolument gigantesque ! La forteresse médiévale, qui date de l’époque de Saint Louis, adopte un plan en fer à cheval. François Ier se fait construire des appartements pour sa nouvelle épouse et lui, qu’il relie au corps de logis principal par une galerie appelée « galerie d’Ulysse », tandis que la Grande Galerie a pour fonction de relier les appartements royaux à la Chapelle de la Trinité. Elle sert aussi d’espace de promenade réservé au propriétaire des lieux. Au-dessus de cette galerie de prestige est placée une bibliothèque qui abrite pas moins de 2 700 volumes !
Là encore il s’agit d’une architecture née de la rencontre entre l’art italien et la tradition française. On retrouve les toitures à forte pente typiques des châteaux français agrémentées de lucarnes, mais la géométrisation et l’organisation rigoureuse de la façade issue de la Renaissance italienne progresse, avec un langage des ordres de plus en plus assimilé dans les colonnes et pilastres. Mais surtout, on observe une innovation considérable dans le décor de la Grande Galerie : c’est la première fois qu’un décor mêle fresques, stucs en haut-relief et boiseries. En fait, il s’agit là d’une galerie complète qui recherche une réelle harmonie, et en cela elle annonce déjà la Galerie des Glaces qui vient un siècle et demi plus tard. Ces galeries témoignent encore de l’influence italienne puisque leurs décors sont dus à deux peintres célèbres : Rosso Fiorentino et Primatice. Ceux-ci incarnent la quintessence du maniérisme italien (mouvement au XVIème siècle qui se rapporte à la manière de jouer avec les règles et les codes artistiques) adapté au goût français. L’idée est de donner un décor allégorique qui glorifie le souverain, pour compléter la magnificence de l’édifice, mais les thèmes sont extrêmement complexes, l’ensemble est difficile à décrypter. C’est d’ailleurs ce que Marguerite de Navarre exprime à son frère lorsqu’elle lui écrit : « Voir vos édifices sans vous, c’est un corps mort, et regarder vos bâtiments sans ouïr sur cela vos intentions, c’est lire en hébreu ». Ainsi, le château de Fontainebleau, malgré sa complexité, ou plutôt à travers elle, est un véritable chef-d’œuvre tant architectural qu’artistique, et c’est pourquoi François Ier choisit ce lieu comme abri pour les arts qu’il chérit tant, donnant naissance à la fameuse « Ecole de Fontainebleau ».
Seuls les châteaux les plus emblématiques ont été développés ici, mais pour être exhaustif il faudrait citer l’agrandissement du manoir de Villers-Cotterêts, ou encore la modification du château de Saint-Germain-en-Laye. Un autre édifice considérablement transformé à la toute fin du règne de François Ier est le Palais du Louvre : François Ierconfie à Pierre Lescot la mission de réaliser une façade pour moderniser le château médiéval de Charles V, et celui-ci réalise un édifice monumental, rythmé par les avant-corps et le jeu des arcades. On considère ce bâtiment du Louvre comme le point de départ du classicisme à la française, qui culminera au XVIIèmeavec Versailles. Par conséquent, entre l’architecture d’Amboise au début du règne de François Ier et celle du Louvre à la fin, on observe une évolution stylistique considérable, sans commune mesure, avec un style Renaissance qui s’affirme de plus en plus, non pas copié de l’Italie mais bien adapté à la tradition castrale française pour donner naissance un style bien particulier et innovant.
En somme, François Iernous a laissé un patrimoine architectural extrêmement riche, et que nous pouvons, aujourd’hui encore comme à l’époque des courtisans du monarque, admirer avec émerveillement, « car tel est notre plaisir » pour finir avec les mots du roi lui-même.
Par Isaure de Montbron pour Héritages