Versailles, sous l’Ancien Régime : lieu de fastes et de divertissements, réputé pour ses fêtes, ses soirées mondaines, ses bals dans la Galerie des Glaces ou encore ses banquets dans les jardins illuminés… Qu’est-ce que cela devait être de fêter Noël dans un tel lieu de réjouissances ? Pour l’occasion, nous avons décidé de suivre un personnage éminent du XVIIIèmesiècle qui va nous donner un témoignage du déroulement de sa journée. Et ce personnage n’est autre que…Louis XVI en personne !
Revenons donc quelque temps en arrière, en l’an de grâce 1787, en ce 24 décembre, pour assister à la veille de Noël telle qu’elle est vécue par le monarque. Grands courtisans que nous sommes, nous avons le privilège d’assister à son lever. La journée se déroule tout à fait simplement, comme une journée normale. Nulle grande effervescence ne vient troubler la routine au sein du château. Au contraire, le roi passe la matinée à faire ses dévotions, avec beaucoup de ferveur. Après-dîner, il assiste aux vêpres puis fait la distribution des bénéfices vacants. Il est déjà dix heures du soir, la fête de la Nativité approche ! Pourtant, plutôt que de se diriger vers la Galerie des Glaces pour les festivités, le roi semble se diriger vers la Chapelle royale… Suivons-le !
21h : Repas maigre avant l’office
Il est bon de se nourrir spirituellement mais une nourriture matérielle est également requise pour qu’une fête soit réussie. Louis XVI quitte l’espace religieux du château pour rejoindre une salle où des tréteaux ont été dressés, puisque la salle à manger comme pièce à part entière dans la maison fait timidement son apparition mais n’est pas encore rentrée dans les coutumes. A table ! Pour concorder avec une telle démonstration de piété lors de cette veille de Noël, nous pourrions nous attendre à un repas d’une extrême frugalité. C’est en partie le cas, puisque le repas pris à 21h, avant la messe, est très maigre : il se résume à quelques poissons et potages, dans la continuité du jeûne de l’Avent – d’où la tradition de manger des huîtres au dîner de Noël.
22h : L’office de Noël
Voilà le roi qui s’assoit dans la loge royale et se recueille en attendant la cérémonie religieuse. Quelle piété ! En fait, célébrer Noël auprès du roi, c’est donner à cette fête chrétienne toute sa portée religieuse. Tout le mois de décembre correspond à l’Avent, période de la liturgie religieuse qui se caractérise par l’attente de la naissance du Christ. Durant tout ce temps, les réjouissances sont interdites à la cour, ni jeux, ni spectacles, ni comédies, et le roi impose aux membres de la famille royale une attitude de dévotion et de charité. Ainsi, le 24 décembre à Versailles n’est pas une soirée festive mais pieuse. La famille royale passe la nuit en prière avec les trois messes de minuit, la première appelée messe des Anges, la deuxième messe des Bergers, et la troisième messe du Verbe Divin, et la célébration trouve son point d’orgue le 25 décembre avec la grand-messe. Fort heureusement, les enfants royaux – Marie-Thérèse, Louis-Joseph, Louis-Charles et Sophie-Béatrice – ont appris à être patients, et ils assistent à toutes ces cérémonies avec une discipline exemplaire.
23h : Repas de fête
En revanche, après la messe, la période de jeûne est révolue, et c’est le moment d’un repas plus conséquent : volaille, chapon, viandes farcies et truffées, et surtout la fameuse dinde de Noël – tradition qui apparaît au XVIèmesiècle avec l’introduction de la poule d’Inde (des Amériques) en Europe, venant supplanter l’oie à la table des rois. Un autre plat vient ravir les papilles des convives : les marrons glacés, qui firent leur apparition à la Cour du Roi-Soleil et que ce dernier apprécia tant qu’il les instaura en tradition pour chaque Noël. Pas étonnant que Louis XVI, son digne descendant, raffole lui aussi de délicieux marrons ! Pour accompagner ces mets délicats, on sert aux invités un breuvage apparu lui aussi à l’époque de Louis XIV et qui a toujours autant de succès un siècle après, un vin pétillant et relevé : il s’agit du champagne. S’il n’y a donc pas de fête dansante le jour de Noël, il y a bien un festin qui est tenu, pour réjouir les papilles des invités à la Cour.
Scène de banquet avec le roi de France Louis XIV, 1687, gravure, France, XVIIème siècle, Paris, Bibliothèque Des Arts Décoratifs Service classique du repas de Louis XVI
00h : Le roi se rend-il auprès du sapin ?
L’image d’Epinal que l’on se fait de Noël s’accompagne toujours du traditionnel sapin. Peut-on se permettre d’imaginer un grand sapin enguirlandé au beau milieu de la Galerie des Glaces ? Il semblerait que non, ou du moins seulement ponctuellement, puisque les différentes tentatives se sont soldées par des échecs. Cette coutume vient à l’origine des pays de l’Est de l’Europe, et en particulier d’Allemagne, mais elle n’est pas encore inscrite dans les mÅ“urs des Français aux XVIIèmeet XVIIIèmesiècles. La première à tenter d’introduire cette tradition à la Cour du Roi-Soleil est Elisabeth-Charlotte de Bavière, dite la Princesse Palatine, qui propose de mettre sur des tables des arbres de buis auxquels on attache des bougies, comme dans son Allemagne natale, mais malheureusement, cette nouveauté ne ravit pas les membres de la famille royale ; cette pratique, jugée trop païenne, ne convenait certes pas aux mÅ“urs pieuses de la Cour ! D’autres essais seront faits par la suite et il faudra attendre le XVIIIème siècle pour voir un sapin à Versailles.
En fait, le roi n’est nullement en quête de cadeaux mais il se dirige simplement vers son office pour travailler un peu avant de se coucher. Eh oui, pas de jour de congé pour le roi, même le jour de Noël ! Mais alors, les enfants royaux doivent-ils se contenter d’aller se coucher, comblés de prières mais sans aucun cadeau ?
01h : Voici enfin venu le temps des présents ?
En réalité, il n’est pas de coutume de donner des cadeaux le jour de Noël, puisque ce jour est exclusivement une célébration religieuse. En revanche, on distribue des cadeaux non le 24 décembre mais le 31, afin de marquer le passage vers la nouvelle année. Chaque début d’année est ainsi l’occasion pour le roi et les membres de la famille royale de distribuer des étrennes pour témoigner de sa reconnaissance envers certaines personnes de la Cour. Le terme « étrennes » provient du latin strenaqui signifie le présage, donc étymologiquement il se rapporte à des « présents qu’on fait un jour de fête pour servir de bon présage ». Souvent, le roi donne de l’argent que ses proches peuvent ensuite dépenser à leur guise.
Et voilà , c’est la fin de la journée de Noël. Les festivités se closent avec le grand banquet à la suite de la grand-messe du 25 décembre. En somme, le Noël que l’on fêtait dans le Château de Versailles aux côtés de Louis XVI est bien loin de celui que l’on connaît aujourd’hui, ce Noël festif qui s’est cristallisé comme tel à la fin du XIXèmesiècle. Et pourtant, certaines traditions existaient déjà à cette époque, et Madame Elisabeth goûtait déjà les plaisirs d’une dinde aux marrons servie le 25 décembre. Alors Héritières et Héritiers, envie de passer cette année un Noël royal en assistant à trois messes de minuit ?
Par Isaure de Montbron pour Héritages