En 1309, lorsque le pape Clément V s’installe à Avignon pour fuir l’agitation de Rome, celui-ci ne se doute pas que le Saint Siège demeurera presque soixante-dix ans sur les bords du Rhône. Durant ce séjour à Avignon, les papes jouent pleinement leur rôle de médiateur dans la Guerre de Cent Ans, en soutenant surtout le roi de France. Après plusieurs décennies d’absence, leur retour à Rome marqua le début de l’une des crises les plus graves qu’ait connu l’Eglise durant son histoire : le Grand Schisme. De 1378 à 1415, l’Église fut divisée entre deux papes se jetant l’un et l’autre l’anathème, ce qui ébranla le monde chrétien aussi puissamment que la guerre entre la France et l’Angleterre.
LEs papes à avignon : médiateurs au coeur de la guerre
Au XIIIème siècle déjà , Rome était désertée par les papes. La ville, en déclin, était en proie à des guerres intestines entre les clans des grandes familles aristocratiques et les factions politiques. Bien loin d’avoir l’éclat d’une Florence ou d’une Venise, Rome devenait une ville où il était dangereux pour le pape de siéger en permanence. Il y était constamment menacé. Ainsi, bien avant le départ à Avignon, les papes résidaient dans les villes des États pontificaux telles que Viterbe et Anagni, voire même en France, à l’abri des querelles italiennes.
L’installation des papes à Avignon s’opère en 1309. Le pape Clément V, élu selon le désir du roi de France, Philippe le Bel après la mort du pape Boniface VIII, sera le premier d’entre eux. Cela ne devait être qu’un séjour temporaire. Son successeur, Jean XXII, fixa véritablement la cour pontificale à Avignon. C’est le pape Benoît XII, en 1337, qui fit d’Avignon la capitale de la papauté. Enfin Clément VI acheta en 1348 la seigneurie d’Avignon et ses trois successeurs y resteront. D’une escale, Avignon était devenue une capitale.
Tout au long du XIVème siècle, les papes élus furent tous d’origine française, certains d’entre eux exerçaient même des charges importantes dans le royaume de France avant leur élection. Dans le cadre de la Guerre de Cent Ans, qui avait débuté en 1337, la partialité des papes était vue d’un très mauvais œil par les Anglais. Les actes diplomatiques des papes d’Avignon se firent souvent en faveur de la France. Jean XXII agit par exemple de concert avec le roi de France Philippe VI pour le maintien de la paix. De même, Clément VI accorda des dons et des crédits aux Valois sur le trésor pontifical. Innocent VI versa d’ailleurs 900 000 écus pour la libération de Jean Le bon, après sa malheureuse capture à Poitiers en 1355.
Mais, ce qui motive les actes des papes pendant cette guerre est surtout de trouver un compromis de paix entre les deux souverains. En effet, tout au long du XIVème siècle, les papes désiraient organiser une nouvelle croisade en Orient. Or, celle-ci ne pouvait pas se faire sans la concorde des princes chrétiens. La papauté tenta donc de jouer un rôle de médiateur : en 1354, les légats du pontife proposèrent à la France de céder l’Aquitaine entière au Prince Noir anglais, terres qui seraient alors dénuées de tous liens de vassalité envers le roi de France. La proposition fit scandale en France et restera inapplicable même après les désastreuses défaites du royaume de France. Les papes continueront jusqu’en 1378 à œuvrer pour le compromis et la paix entre les souverains, sans rencontrer le succès escompté.
LEs papes d’avignon, acteurs de leur propre guerre
Le temps d’Avignon ne devait pas durer. Profitant de la trêve de Brétigny conclue le 8 mai 1360, le pape Urbain V accomplit son désir de retourner à Rome en 1367. Mais la reprise rapide des conflits entre l’Angleterre et la France, ainsi que l’hostilité que le pape rencontre à Rome, le pousse à revenir à Avignon. Son successeur, Grégoire XI, organisa le grand retour des papes à Rome, qui se devait d’être définitif. Il arrive à Rome en 1377 et, sans avoir le temps d’installer son pouvoir, décède quatre mois plus tard.
Une curie française en plein cœur d’une Italie en conflit ; une papauté qui revient après soixante-huit ans d’absence et des révoltes populaires qui éclatent : tout était en place pour le drame, c’est-à -dire le Schisme.
L’élection du futur pape déchaîne alors toutes les passions, si bien que le peuple romain menace les cardinaux pour obtenir un pape originaire de Rome. Les cardinaux français élisent en une nuit Urbain VI, bel et bien italien, en espérant que les tensions s’apaisent. Bien au contraire, la légitimité de cette élection est contestée. De plus, l’attitude du nouveau pape, exécrable avec les prélats, les seigneurs et les rois, envenime la situation. Au point que, pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, les cardinaux se rebellent et élisent un autre pape. Le 15 août 1378, Clément VII est élu, alors que le pape Urbain VI est toujours pontife. Voilà deux papes pour une seule Eglise.
Clément VII retourne très rapidement à Avignon qui devient une contre-Rome. A partir de ce moment, l’Eglise ne peut plus assurer son rôle de médiatrice dans la Guerre de Cent Ans, mais l’adhésion des souverains européens à tel ou tel pape sera un véritable enjeu. Naturellement, le roi de France soutient Avignon tandis que le roi anglais appuie Rome. La Guyenne elle, eut plus de mal à se positionner car choisir un pape revenait à choisir entre la France et l’Angleterre.
L’Église devint aussi divisée que l’Europe ce qui affaiblit grandement son pouvoir et son autorité. Plusieurs voies furent tentées : la guerre, les conciles et même la soustraction d’obédience (c’est-à -dire retirer à un pape son titre), mais elles restèrent infructueuses. En effet, la discorde entre la France et l’Angleterre retarda de clore cette crise religieuse et politique. En 1409, 500 prélats des deux camps se réunissent à Pise. Ils décident ainsi de déposer les papes d’Avignon et de Rome, afin d’en élire un nouveau. Ironie du sort, le Schisme empire, car ce n’est plus deux mais trois papes qui se retrouvent élus à la tête de l’Eglise.
En 1415, un immense concile réunit à Constance mit définitivement fin à cette crise qui aura duré presque 40 ans. Mais bien que l’Eglise ait retrouvé sa tête, les épreuves n’étaient pas finies. Il fallait à présent trouver une issue à la Guerre de Cent Ans ; et surtout assister à l’effondrement progressif de la société féodale que la guerre franco-anglaise et le schisme avait précipité.
Pauline Dukers
Sources :
Favier, Jean. Les Papes D’Avignon. 2006. Print.
Favier, Jean. La Guerre de Cent Ans. Paris: Pluriel, 2018. Print.
Genèse Et Débuts Du Grand Schisme D’Occident. 1980. Print. Colloques Internationaux Du Centre National De La Recherche Scientifique.
Pour aller plus loin : Un petit détour par le Palais des Papes d’Avignon peut être l’occasion d’une plongée au cœur du XIIIème siècle, dans un lieu qui allie le palais princier et la forteresse médiévale. Passionnant !