Héritages

« Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être Â» dit Danton au soir de la création du tribunal révolutionnaire. Le Tribunal révolution est une juridiction d’exception mise en place sous la proposition de Danton, Lindet et Levasseur. Il exerça des fonctions du 6 avril 1793 (date du premier jugement) au 31 mai 1795 et également de Jean-Baptiste Carrier (député). Le Tribunal rendit plus de 4 000 jugements en seulement deux années. Le but de ce tribunal est de réprimer “toute entreprise contre-révolutionnaire” et “tout attentat contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République”. Le Tribunal accuse et condamne en masse : près de 5215 personnes sont accusées et 2791 d’entre elles sont guillotinées. Retour sur cette sanglante institution.

Marie Antoinette devant le Tribunal révolutionnaire, collection Rothschild

Le Tribunal : fonctionnement et peines

Nombreuses sont les innovations apportées par la Révolution de 1789 : nouvelles lois, abolition des privilèges, institution du tribunal de de Cassation avec un objectif d’unification juridique … Le Tribunal révolutionnaire prend place dans une annexe de la prison de la Conciergerie située sur l’île de la Cité à Paris et occupe deux salles : la salle de la Liberté et la salle de l’Egalité. En ce qui concerne le Tribunal révolutionnaire, c’est la loi du 10 mars 1793 qui prévoit l’établissement de la commission des Six, qui sont en charge de trouver des justiciables à poursuivre et à déférer devant le Tribunal. Dès le 2 avril et sur proposition de Marat, on supprime la commission et l’on confie les missions qu’elle exerçait à un accusateur public, en l’occurence Antoine Fouquier-Tinville. Les grands idéaux révolutionnaires ont rapidement été mis de côté en ce qui concerne la transparence et l’indépendance totale de la justice et donc des tribunaux, l’en témoigne le procès Marat, qui fut libéré et innocenté. En ce qui concerne les compétences du Tribunal, l’article 1 de la loi du 10 mars 1793 prévoit tout :

ARTICLE 1 DU TITRE I DE LA LOI DU 10 MARS 1793

Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire qui connaîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tout attentat contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l’égalité et à la souveraineté du peuple.

A propos des peines à infliger aux justiciables, le Tribunal devait choisir entre 4 possibilités : l’acquittement de la personne, son emprisonnement, sa déportation ou son exécution. Nous sommes face à une justice radicale en tous points. Plus les mois passèrent et plus l’on a condamné de personnes : en avril 1793 on enregistre 16 acquittements et 9 condamnations à mort alors qu’en juillet 1794, près de 300 acquittements ont lieu ainsi que 1138 condamnations à mort d’après Actes du Tribunal révolutionnaire de Paris commenté par G.Walter. Selon les historiens Alfred Fierro et Jean Tulard, 80% des condamnés à mort sous la Terreur sont issus du Tiers-État et 20% sont des aristocrates et nobles ce qui est très important par rapport à leur petit effectif.

Un personnage central : Antoine Fouquier-Tinville

Le nom de ce juriste de formation doit vous faire frémir. Il a envoyé à l’échafaud plus de 2700 personnes. Il a vu en la Révolution une porte d’entrée vers de hautes fonctions judiciaires. En effet, grâce à son cousin Camille Desmoulins, il est dans un premier temps nommé directeur d’un des jurys d’accusation du tribunal extraordinaire du 17 août 1792, créé pour juger les royalistes arrêtés lors de la journée du 10 août 1792. Après la suppression de ce tribunal, il devient substitut de l’accusateur public du tribunal criminel de la Seine puis accusateur public en 1793. Il est alors le personnage central du tribunal. Il est en charge d’ accueillir les juges et les jurés, de choisir la salle, rédige les actes d’accusation, fait appliquer la loi, reçoit le bourreau, fixe le nombre de charrettes de condamnés, et enfin, qui rend compte au Comité de salut public. Il est d’ailleurs présent et en fonction lors des procès de Marie-Antoinette, Charlotte Corday ou encore de Madame Du Barry.

Marie-Antoinette et Louis XVI à la barre

Le Tribunal révolutionnaire a vu défiler des justiciables assez particuliers comme Marie-Antoinette, Madame du Barry ou encore Louis XVI. Ouvrons quelques uns de ces vieux dossiers … En ce qui concerne le procès de Marie Antoinette, le processus débute par un interrogatoire secret le matin du 12 octobre 1793 qui se tient dans la salle de la Liberté, afin de préparer l’audience qui se tient deux jours après en présence de l’accusateur public (Fouquier-Tinville) et du juge d’instruction Joseph Armand Herman. Les thèmes abordés sont ses dépenses importantes, l’influence qu’elle exerce sur Louis XVI, ses relations privilégiées et suspectes avec l’Autriche entre autre. Le 14 octobre 1793, le procès débute et trois chefs d’accusation sont retenus contre elle : d’avoir épuisé le trésor national (d’ou son surnom de Madame Déficit), d’avoir entretenu des correspondances et intelligences avec l’ennemi et d’avoir tramé des conspirations contre la sureté intérieure et extérieure de l’Etat. Fouquier de Tinville la qualifie de « fléau et de sangsue des français« . Les attaques envers Marie-Antoinette vont se multiplier, de plus en plus personnelles et 48h après le début de son procès elle est condamnée à mort pour haute trahison et guillotinée dans les minutes qui suivirent sur la place de la Révolution (Place de la Concorde). Le Tribunal révolutionnaire lui a précisément reproché « d’avoir coopéré directement aux manÅ“uvres et intelligences avec les puissances étrangères et les ennemis extérieurs de la République ainsi qu’aux complots et conspirations tendant à allumer la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres ».

« On ne peut régner innocemment. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. […] Cet homme doit régner ou mourir. »

Saint Just

33 chefs d’accusation et des milliers d’arguments permirent au Tribunal Révolutionnaire de condamner Louis XVI à mort. Deux mois suffirent pour condamner le Roi de France au châtiment suprême. Parmi les chefs d’accusation nous avons entre autre  » la tentative de dissolution de la toute nouvelle Assemblée Nationale constituante le 20 juin 1789, le refus de contresigner l’abolition des privilèges votée le 4 août et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen le 26, le double jeu diplomatique auprès des puissances européennes et alliances secrètes avec elles ou encore les ordres de tirer sur le peuple et d’avoir fait « couler le sang des français ». La découverte de « l’armoire de fer » n’aide pas du tout la défense du Roi. Il s’agit d’une ouverture dissimulée dans un mur au Palais des Tuileries qui aurait été commandé par Louis XVI à son serrurier préféré, un dénommé François Gamain. Au sein de cette cachette, des conversations entre le roi et Mirabeau, avec des banquiers ..etc. Mythe ou réalité, il n’empêche que cela dessert ses avocats. C’est la Convention Nationale qui va régler le sort du roi, avec l’état d’esprit du Tribunal révolutionnaire.

Malgré les tensions et la haine manifestée envers sa royale personne, Louis XVI bénéficie d’une équipe de défense qui s’organise pour l’aider avec François Denis Tronchet (ancien bâtonnier de l’ordre des avocats), Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (ministres) et Raymond de Sèze (ancien avocat et magistrat) mais en vain. 387 voix sur 721 suffirent à mettre fin à sa vie. Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793 Ã  10 h 22, la Convention comme responsable. Voici la retranscription exacte du dernier discours du Roi, avant d’être conduit vers la guillotine…

On vient de vous exposer mes moyens de défense, je ne les renouvellerai point ! En vous parlant peut-être pour la dernière fois, je vous déclare que ma conscience ne me reproche rien, et que mes défenseurs ne vous ont dit que la vérité.

Je n’ai jamais craint que ma conduite fût examinée publiquement, mais mon cœur est déchiré de trouver dans l’acte d’accusation l’imputation d’avoir voulu répandre le sang du peuple, et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués.

J’avoue que les preuves multipliées que j’avais données dans tous les temps de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m’étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m’exposer pour épargner son sang, et éloigner à jamais de moi une pareille imputation.

Dernier discours de Louis XVI

Par Colombe Cissé pour Héritages

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